Historique : le Conseil des droits de l’homme ouvre des négociations sur de nouvelles normes internationales contraignantes concernant la responsabilité des sociétés transnationales en matière de droits humains !
Le Conseil des droits de l’homme vient d’adopter une résolution présentée par l’Équateur et l’Afrique du Sud qui établit un groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer les activités des sociétés transnationales. « Il s’agit là d’une décision historique qui peut potentiellement contribuer à mettre fin à l’impunité dont bénéficient trop souvent les sociétés transnationales pour les violations de droits humains commises, en particulier dans les pays du Sud, et garantir l’accès à la justice aux victimes de leurs activités », a réagit Melik Özden, directeur du Centre Europe-Tiers Monde (CETIM), une organisation basée à Genève qui se bat depuis de nombreuses années pour obtenir de nouvelles normes contraignantes.
Les pays occidentaux ont tenté jusqu’à la dernière minute de s’opposer à cette résolution en utilisant tous les moyens pour faire pression sur les autres États membres du Conseil des droits de l’homme. Le vote a été demandé par les États-Unis. Au final, la résolution a été adoptée par 20 voix en faveur, 14 oppositions et 13 abstentions. Tous les États occidentaux membres du Conseil des droits de l’homme ont voté contre la résolution. La grande majorité des pays du Sud, dont la plupart des pays africains, ainsi que la Chine, l’Inde et la Russie, se sont prononcés en faveur.
« Nous ne pouvons que regretter l’attitude peu constructive des pays occidentaux qui ont choisis de privilégier les intérêts des sociétés transnationales par rapport à la protection des droits humains », a continué M. Özden. « Ils ont d’ailleurs d’ors et déjà annoncé qu’ils ne participeraient pas aux travaux du groupe de travail intergouvernemental. »
Le groupe de travail tiendra sa première session en 2015 pour définir les éléments, l’étendue, la nature et la forme du futur instrument international. « Ce n’est que le début du processus, mais il s’agit déjà une grande victoire pour les peuples du monde, et en particulier pour les victimes dans le Sud, qui réclament depuis des années des normes contraignantes pour mettre fin à l’impunité des sociétés transnationales » a relevé M. Özden.
Tandis que les sociétés transnationales disposent de toute une batterie de lois, de mécanismes et d’instruments contraignants pour protéger leurs intérêts, seuls des codes de conduites volontaires et des normes non-contraignantes existent pour contrôler leurs impacts sur les droits humains et garantir l’accès à la justice pour les victimes de leurs activités. « Il était temps que le Conseil des droits de l’homme agisse pour corriger cette asymétrie dans le système international qui affecte en premier lieu les pays les plus pauvres et les plus faibles » s’est félicité M. Özden.
Depuis plusieurs mois des centaines d’organisations de la sociétés civiles et des mouvement sociaux du Nord comme du Sud se mobilisent en faveur de cette initiative. Nombres d’entre-elles ont convergé à Genève pour une semaine de mobilisation du 23 au 27 juin. De nombreux délégués du Sud et de représentants des victimes ont fait le voyage pour réclamer de nouvelles normes contraignantes pour mettre fin à l’impunité des sociétés transnationales. Le CETIM s’est fortement engagé aux côtés de la Campagne mondiale pour démanteler le pouvoir des transnationales et mettre fin à l’impunité. Les cas de Chevron en Équateur, Coca Cola en Colombie, Shell au Nigeria, Glencore-Xstrata aux Phillippines et Oceana Gold au Salvador ont notamment été présentés pour démontrer la nécessité d’un nouvel instrument international.
« En 60 ans d’exploitation pétrolière dans le Delta du Niger, les communautés locales n’ont pas connu le repos » a relevé Godwin Ojo des Amis de la Terre Nigeria. « Shell a systématiquement violé les droits humains et détruit l’environnement ainsi que les conditions de vie des communautés mais ni les campagnes internationales ni les lois et les agences de régulation nationales n’ont été capables de mettre fin à ces pratiques. Ce niveau d’impunité démontre la nécessité d’un instrument international contraignant qui oblige les sociétés transnationales à respecter les droits humains ».
« En 26 ans d’exploitation pétrolière en Amazonie équatorienne, Chevron a souillé plus de 450’000 hectares d’une des zones de la planète les plus riches en biodiversité et détruit les conditions de vie et de subsistance de ses habitants » a expliqué Pablo Fajardo, défenseur et représentant des victimes de Chevron en Équateur. « Or, après 21 ans de litige et malgré une condamnation de la justice équatorienne, Chevron refuse toujours de payer. Et pendant ce temps les victimes de ses activités en Équateur attendent toujours justice et réparation » a-t-il regretté. « Les codes de conduite volontaires ont montré leurs limites, seul un instrument international contraignant peut mettre fin à l’impunité des sociétés transnationales ».
« Des dizaines de syndicalistes sont assassinés chaque année en Colombie en toute impunité », comme l’a souligné M. Javier Correa, président du syndicat Sinaltrainal en Colombie. « Dans le cas de Sinaltrainal, 23 de nos syndicalistes travaillant pour Coca Cola ou Nestlé ont été assassinés ces dernières années. Or, ces sociétés transnationales utilisent des schémas complexes de franchises, de filiales et de sous-traitants pour échapper à la justice. La justice colombienne ne fait pas son travail et les tribunaux aux États-Unis et en Suisse, où ces deux transnationales ont leurs sièges, refusent d’entrer en matière. » a-t-il souligné. « Seules des normes internationales contraignantes permettront de tenir les sociétés transnationales responsables de leurs crimes en Colombie ! »
Le chemin est encore long mais aujourd’hui, et après près de 40 ans de discussions et de tentatives infructueuses à l’ONU, le processus est enfin lancé ! Le CETIM tient encore à féliciter les gouvernements de l’Équateur et de l’Afrique du Sud pour leurs leadership et également tous les États qui ont voté en faveur de la résolution malgré les nombreuses pressions reçues.
Pour plus d’information voir les Bulletins d’information n°47 et n°43, le Cahier critique Cahier critique n°10 et la Brochure n°2 du CETIM.