Paru dans la Tribune de Genève le Mercredi 17 juin 2015
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CHEVRON DOIT ASSUMER SES RESPONSABILITÉS
Pollution I Depuis plus de vingt ans, les populations de l’Amazonie équatorienne se battent pour obtenir des réparations.
Gustavo Kuhn
Le combat des habitants de l’Amazonie équatorienne contre le géant pétrolier Chevron est devenu un emblème de la lutte pour faire reconnaître les responsabilités environnementales et sociales des multinationales. Depuis maintenant 22 ans, quelque 30 000 personnes affectées par la pollution pétrolière se battent pour obtenir des réparations. Interview de Maria Eugenia Garcés, déléguée de l’Union des affectés de Texaco-Chevron en Equateur, venue plaider cette cause aux Nations Unies à Genève avec l’appui du Centre Europe – Tiers Monde (Cetim).
Quelle est la raison de votre présence au Conseil des droits de l’homme à Genève?
Nous sommes venus dénoncer les violations des droits humains de la part de multinationales comme Chevron et l’impunité dont elles bénéficient. Cette compagnie pétrolière a pollué plus de 450 000 hectares de la forêt amazonienne. Mais elle continue de fuir ses responsabilités et refuse de payer les réparations que lui a imposées la justice équatorienne.
Que reprochez-vous à Chevron?
L’entreprise Texaco, qui a été intégrée à Chevron en 2001, a opéré pendant des années dans les provinces d’Orellana et de Sucumbíos, dans le nord de l’Amazonie équatorienne. Cette région était jusqu’alors une des zones à la biodiversité la plus riche de la planète. Mais les pratiques de cette société ont causé de gravissimes dommages à l’environnement et ont profondément affecté les populations locales, dont des peuples indigènes, qui ont été déplacés de leurs terres.
Le pire est que cette pollution n’est pas le fait d’accidents mais de l’usage délibéré de techniques polluantes et de technologies obsolètes afin de faire des économies. Les déchets de l’exploitation pétrolière étaient parfois rejetés directement dans la nature et les cours d’eau au lieu d’être réinjectés dans les puits. Dans d’autres cas, ils étaient stockés dans des piscines à ciel ouvert mal isolées et finissaient par s’infiltrer dans les sols ou à déborder. Texaco-Chevron a ainsi sciemment causé des dommages énormes à l’environnement et aux populations locales dans le but d’augmenter son profit.
Vous avez donc porté l’affaire en justice?
En 1993, une demande de réparations a été déposée à New York, aux Etats-Unis. Et après des années de procédures, le procès a été déplacé en Equateur, à la demande de la compagnie pétrolière. Chevron a finalement été condamnée une première fois en 2011. Le jugement a été confirmé en seconde instance en 2012 puis une nouvelle fois l’année suivante par la Cour nationale de justice, qui est l’instance judiciaire suprême de l’Equateur. La compagnie pétrolière a été condamnée à verser 9,5 milliards de dollars (près de 8,9 milliards de francs au cours actuel).
Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas la d’indemnités pour des individus mais de sommes destinées à financer des programmes de réparation des dommages causés par la compagnie, notamment pour les sols, les eaux, et les écosystèmes détruits par la pollution. Un fonds est également prévu pour développer un système de santé pour les personnes affectées. Des études ont prouvé que, dans la zone où opérait Texaco, on observe trois fois plus de cas de cancers que dans le reste du pays, cinq fois plus de fausses couches, 50% de leucémie infantile en plus et de nombreuses maladies de la peau et intestinales.
La compagnie pétrolière n’a jamais versé la somme exigée par la justice équatorienne?
Non. Chevron livre une intense bataille juridique pour ne pas payer. Elle conteste la compétence de la justice équatorienne et affirme que le procès a été falsifié. Un de leurs principaux avocats en Equateur a prévenu qu’ils «se battraient jusqu’à ce que l’enfer gèle, et qu’après cela ils se battront encore sur la glace». Ils ont des ressources énormes. Chevron a engagé une soixantaine de cabinets juridiques, avec plus de 2000 avocats, ainsi que des entreprises de communication et de renseignement. Ils se livrent à un véritable harcèlement envers tous ceux qui leur réclament des comptes. Mais aussi à leurs appuis et aux médias qui relaient le cas.
Vous avez tout de même l’espoir que Chevron paie un jour?
J’en ai la certitude. Nous nous battons depuis 22 ans et nous continuerons à le faire. La vérité est là. La responsabilité de cette compagnie a été prouvée. Et notre cas est devenu emblématique dans la lutte contre l’impunité des multinationales. Nous avons désormais des appuis dans le monde entier. C’est devenu un combat global.