Monsieur le Président,
Le Centre Europe Tiers Monde regrette vivement le regroupement des points 5, 17, 18 et 20 de l’ordre du jour de cette session et est inquiet des amalgames auxquels il peut conduire. En effet, nous siégeons dans une instance dénommée “Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités”. Selon quelle logique, le thème des minorités se trouve-t-il au coeur d’un regroupement de points traités en 3 séances uniquement? Lieu de réflexion et d’étude, il est légitime de se demander comment les membres de cette instance pourront transmettre une réflexion critique et pertinente. Suite à ce regroupement thématique, le CETIM a été contraint d’arbitrairement et regrettablement, renoncer à se prononcer sur la question des minorités.)
En ce qui concerne les travailleurs migrants, victimes de discrimination, des études sérieuses montrent que l’on trouve davantage de peur de l’étranger, de fantasmes au sujet de l’autre, de paranoïa parfois dans les lieux où vivent peu de migrants que dans ceux où ils sont installés depuis longtemps La vie en commun, la familiarisation avec l’autre, dans la rue, à l’école, dans les lieux publics, permet la construction de nouvelles images de l’autre, de l’étranger qui – avant d’être étranger – est voisin, collègue, partenaire peut-être. La réflexion et les expériences sur de nouvelles formes de citoyenneté prennent naissance dans ces lieux. Encore faut-il pour cela que les gouvernements n’édictent pas de lois discriminantes entre nationaux et extra-nationaux, que des planifications urbaines harmonisent l’éventail socio-économico-culturel des populations que de réelles politiques d’intégration se mettent en place.
En effet, de tout temps, il a été facile à certains pouvoirs politiques, économiques et religieux de manipuler à souhait les prétendument spécificité de certains groupes. Cet aveuglement est la résultante de manipulations qui conduisent à des tragédies bien souvent meurtrières et qui amènent même des groupes socio-culturels à s’entredéchirer.
Les législations adoptées par les Etats en matière d’immigration ouvrent plus ou moins d’espace à l’expression de la xénophobie et du racisme. Elles forment en grande partie les représentations des nationaux et de l’opinion publique en général en ce qui concerne l’image de l’autre, l’image de l’étranger. Dans son rapport du 25 septembre 1995, à l’Assemblée générale des Nations Unies, M. Glélé-Ahanhanzo, indique au paragraphe 109 que “les lois quelques fois d’inspiration xénophobe, dans les pays européens n’ont pas réussi à enrayer l’immigration, ni à réduire de manière significative le nombre d’étrangers sur les territoires nationaux, mais ont contribué à marginaliser un grand nombre d’entre eux en les faisant passer de la légalité à l’illégalité”. Le rapporteur spécial montre ici que finalement les lois discriminantes sont des portes ouvertes à l’augmentation du racisme et de la xénophobie. En revanche les gouvernements courageux qui édictent des lois égalitaires luttent, pour la majorité d’entre eux, contre le racisme et la xénophobie. La responsabilité des Etats est donc manifeste. Quant on sait par ailleurs que la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale assimile celle-ci à un délit, on peut se demander, à juste titre, comment la communauté internationale peut exercer de réelles pressions sur les Etats parties qui pourtant promulguent des lois racistes et poussent au racisme et à la xénophobie.
Dans le cadre de cette intervention, le CETIM aimerait souligner ici la qualité des rapports de M. Glélé-Ahanhanzo dans lesquels se trouvent tant des descriptions très fouillées de la situation qui prévaut dans certains pays, que des propositions d’action concrètes. Le CETIM demande aux membres de la Commission et de la Sous-Commission que le rapporteur spécial puisse poursuivre son travail, de manière indépendante dans le cadre de la troisième décennie de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale.
Monsieur le Président,
Afin d’illustrer notre propos relatif à la responsabilité des Etats, nous prenons à titre d’exemple la Suisse. En effet, ce pays a ratifié dernièrement la Convention internationale contre toutes les formes de discrimination raciale ce qui ne l’empêche pas de promulguer des lois et des ordonnances, et d’être taxé de racistes par des experts et par les membres de la nouvelle Commission fédérale contre le racisme. Cette dernière a récemment été constituée suite à l’adoption, par le peuple suisse, de la Convention précitée; elle s’est prononcée contre le modèle migratoire suisse dit des trois cercles. En effet, cette Commission qualifie ce système de recrutement de la main d’oeuvre étrangère de fondamentalement raciste et elle somme le gouvernement suisse de réétudier le dossier. Une nouvelle expertise de la politique migratoire suisse vient d’être rendue publique. Elle a été demandée à un professeur de droit public de l’Université de Genève par les syndicats d’employeurs et d’employés; sa conclusion souligne que la politique du Conseil fédéral est discriminatoire et viole les accords internationaux. Il est évident que de nombreux exemples dans d’autres pays pourraient illustrer la discrimination, le racisme et la xénophobie appliqués en cascade, et légalisés par l’Etat lui-même. Mais le temps impatience nous le permet pas.
Ou qu’il se trouve, le racisme prend deux formes distincte, comme exposé à juste titre par M. Glélé-Ahanhanzo dans un de ses rapports (E/CN.4/1994/66). La première forme érige le racisme et la discrimination raciale en politique gouvernementale institutionnalisé, comme l’apartheid par exemple. Dans sa seconde forme, le racisme prend des aspects diffus qui déploient leurs effets sur certaines couches de la société ou parmi des groupes particuliers, affectés par la discrimination raciale et la xénophobie; discriminations camouflées sous une égalité de principes proclamés pour toutes les communautés. Ce deuxième cas de figure est le plus courant dans les pays occidentaux mais il n’en est pas moins dangereux dans la mesure où les Etats jouent double jeu édictant à la fois des lois discriminantes et ratifiant des Conventions internationales en contradiction avec leur législation nationale.
Monsieur le Président,
A titre de conclusion, le CETIM souhaite qu’au cours de cette troisième décennie, les pays renoncent à leur duplicité pour se lancer résolument dans une réelle lutte contre le racisme qui exige des lois attribuant beaucoup plus d’égalité aux groupes et aux individus vivant sur un même territoire.