Madame la présidente,
L’Accord de libre échange américain (ALENA), comme tout autre accord de “libre échange” d’inspiration néolibérale, fait peser tout le poids de ses conséquences néfastes sur les populations les plus pauvres et les pays les plus faibles. C’est en particulier le cas pour les populations indigènes du Mexique. Là comme ailleurs les politiques qui sous-tendent ces accords et qui aboutiront à une péjoration des conditions de vie de la majorité de la population ne peuvent s’imposer que par la violence et la répression.
Cependant, à l’heure où le Mexique renforçait son intégration au système mondial néolibéral, la lutte des zapatistes au Chiapas révéla la réalité ignorée des peuples indigènes et la constante dégradation de leurs conditions de vie. Refusant une situation qui ne pouvait mener qu’à leur élimination en tant que peuples, les populations indigènes résistent et réclament “un monde où il y a de la place pour tous nos mondes” 1.
Les peuples autochtones sont menacés par les politiques du pouvoir mexicain, tels que l’expropriation des terres des paysans, la négation de toute autonomie, la privatisation des principales ressources stratégiques (pétrole, eau, bois, bio-diversité). Ils réclament le respect de leurs droits collectifs, condition nécessaire à la réalisation de leurs droits, aussi bien civils et politiques qu’économiques, sociaux et culturels.
En 1996, un processus de dialogue a abouti aux Accords de San Andrés sur les Droits et la Culture Indigène, signé par les deux parties. Mais le gouvernement a ensuite refusé le projet de loi élaboré sur la base de ces accords par la Commission parlementaire de Concorde et de Pacification (COCOPA), qu’il a pourtant lui-même mise sur pied. Interrompant tout dialogue, le gouvernement mexicain tente d’imposer un projet de loi unilatéral, présenté à la Chambre des Sénateurs en mars 1998, qui viserait à limiter fortement les droits des peuples indigènes.
Il mène depuis lors une guerre de basse intensité contre les communautés zapatistes du Chiapas. On assiste à une véritable politique de terreur visant à anéantir la résistance des populations. Cette stratégie comprend d’une part la militarisation croissante des régions concernées, avec le déploiement de 70’000 hommes environ , soit plus du tiers de l’armée mexicaine, et d’autre part la prolifération des groupes paramilitaires. On dénombre aujourd’hui au moins sept groupes paramilitaires 2, soutenus, armés et instruits par le pouvoir en place, qui font régner l’insécurité au Chiapas. Tout en niant une quelconque implication avec ces groupes, le pouvoir politique mexicain encourage les exactions contre les populations civiles en maintenant l’impunité: assassinats, disparitions, détentions, séquestrations, viols, tortures physiques et psychologiques, vols de récoltes, de bétail, destruction de bibliothèques et d’atelier d’artisanat, incendies de villages et de forêts etc. La stratégie vise également à affamer les populations pour miner les bases populaires et étouffer la résistance indigène. Les paysans qui vont aux champs sont fréquemment menacés de mort s et leurs récoltes sont volées.
La catastrophe humanitaire, causée par la fuite de plus de 20’000 indigènes suite au terrorisme d’Etat, ne semble pas prendre fin. Ces personnes survivent dans des conditions extrêmement précaires et ne peuvent retourner dans leurs communautés sans peur de représailles.
Fin 1997, à Acteal, le massacre de 45 indigènes, dont une grande majorité de femmes et d’enfants, a montré la participation et l’implication de paramilitaires, de militaires et de policiers, ainsi que la collaboration de fonctionnaires gouvernementaux, après l’enquête menée par la société civile chiapanèque. Encore une fois, et malgré l’évidence, le pouvoir nie toute implication en tentant de faire passer ses exactions pour des règlements de compte locaux.
Le 7 avril dernier, sur l’ordre du gouverneur de l’Etat du Chiapas, des forces de sécurité publique ont attaqué en grand nombre la commune de San Andrés, siège du conseil autonome indigène. Le lendemain, la population indigène de la région à réinvesti en masse la commune et repoussé pacifiquement cette attaque mais elle redoute de nouvelles violences dans ce lieu hautement symbolique où se sont déroulés les dialogues pour la paix en 1996. Cet événement montre la volonté de déstabilisation psychologique des communautés par les autorités mexicaines et le rejet de la paix qu’elles ont elles-mêmes signées à San Andrés.
Les communautés indigènes et la société civile mexicaine réclament avec insistance la présence d’observateurs mexicains et internationaux. Pourtant, c’est le contraire qui se produit, puisque, depuis l’année dernière, plus d’une centaine d’observateurs étrangers ont été expulsés du pays.
Face à tant d’horreurs, de violations systématiques et massives, face au non respect des recommandations des différents organes des Nations-Unies et de la Commission Inter-Américaine des Droits de l’Homme 3, le CETIM se joint à la demande des communautés autochtones, des nombreuses organisations des Droits de l’Homme mexicaines et des organisations internationales pour demander à cette Commission de désigner un rapporteur spécial chargé d’évaluer la situation des Droits de l’Homme au Mexique. En effet, la situation est alarmante non seulement dans l’Etat du Chiapas mais aussi dans l’ensemble du Mexique, notamment à Guerrero et Oaxaca pour ce qui est des peuples autochtones. Nous demandons également que les visites du rapporteur sur les exécutions sommaires et de Mme le Haut Commissaire puissent se faire aux dates prévues.
Je vous remercie, Madame la Présidente.
Documents de référence disponibles (entre autres):
· Preliminary Investigation, ESC Rights Violations in Chiapas, Mexico, im the context of counter-insurgency, low intensity warfare against mainly mayan sectors of the population, prepared for the United Nations Committee on Economic, Social and Cultural Rights, Geneva, November 16, 1998.
· Carpeta informativa sobre los derechos humanos en Chiapas, preparada para la Comisiòn de Derechos Humanos de ONU, Ginebra, abril de 1999, Enlace Civil, Chiapas, Mexico.
· Rapport de la Commission Civile Internationale d’observation des Droits de l’Homme (CCIODH), 1998 et document de suivi: “Un an après” (CCIODH), 1999.