Droit au développement et attitude des Nations Unies envers les sociétés transnationales

11/11/1999

«Le processus global de développement se heurte à de nombreux obstacles qui ont, en grande partie, un caractère transnational. Dans le domaine économique, ces obstacles viennent des formes persistantes de domination et de dépendance, des relations commerciales inéquitables et des restrictions imposées de l’extérieur au droit de toute nation à exercer sa pleine souveraineté sur ses ressources nationales. On a ainsi pu dire que le sous-développement était «la résultante de l’immersion d’une société et de son économie dans un monde dont les structures les condamnent à une condition subordonnée et à la stagnation ou au déséquilibre interne.» ».1 Telle était l’opinion, en 1978, du Secrétaire général de l’époque, exprimée dans son rapport sur le droit au développement.

Cette approche de la problématique du développement sera ultérieurement prise en compte dans la Déclaration sur le droit au développement qui d’une part, énonce la souveraineté des peuples et des nations comme condition sine qua non à la réalisation du droit au développement et d’autre part, exhorte les Etats à prendre toutes les mesures possibles pour éliminer la domination étrangère.

Le Centre Europe-Tiers-Monde (CETIM) et le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié des Peuples (MRAP) souhaitent mettre en lumière que si le Secrétaire général présente en 1978 l’élimination de la domination économique étrangère comme une condition essentielle au développement, ce postulat semble totalement écarté aujourd’hui par M. Kofi Annan. En effet, le Secrétaire général nous présente la mondialisation économique capitaliste débridée comme inéluctable et bénéfique, notamment dans son rapport à l’Assemblée générale sur «L’esprit d’entreprise et la privatisation au service de la croissance économique et du développement durable», (A/52/428) et dans ses deux derniers discours au Word Economic Forum de Davos. Or, ce processus, présenté comme inéluctable, renforce encore la domination économique et politique des pays du Nord sur les pays du Sud. Force est de constater que depuis 20 ans, cette situation s’est accentuée et que les processus de développement sont loin d’être amorcés pour la grande majorité des pays en développement.

[Si la domination économique s’est renforcée, le discours, en revanche, a radicalement changé. Par ses déclarations, M. Annan renierait-il le travail accompli par les Nations Unies sur le droit au développement?]

Selon les statistiques du PNUD, on assiste depuis 20 ans à une croissance exponentielle des inégalités.

[En 1960, les 20 % les plus riches possédaient un revenu 30 fois supérieur à celui des 20 % les plus pauvres. En 1995, ce chiffre est passé à 82 fois.]

Relevons pourtant que, la satisfaction des besoins essentiels de l’ensemble des populations des pays en développement (nourriture, eau potable, infrastructures sanitaires, éducation et santé) est estimée à 40 milliards de dollars par an, soit 4 % de la richesse cumulée des 225 plus grosses fortunes mondiales.2

Or, cette croissance des inégalités est due en grande partie à un système économique mondial inéquitable et à la domination économique étrangère. La colonisation directe a presque disparu dans les années 60, mais une colonisation plus pernicieuse a pris sa place, la colonisation économique. Aujourd’hui, les instruments et structures de cette colonisation en sont principalement, la Banque Mondiale, le FMI et leurs programmes d’ajustements structurels, le système de l’endettement à perpétuité, le secret sur les technologies industrielle et agricole, les termes inégaux de l’échange, les activités et méthodes de travail des sociétés transnationales, et plus récemment, les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce. La dictature économique ainsi établie conduit à un transfert massif des ressources du Sud vers le Nord (transfert de capital Sud/ Nord: 189 milliards en 1995 et à 213 milliards en 1996)3

Le CETIM et le MRAP ont déjà relevé en cette enceinte le rôle négatif des programmes d’ajustement Structurel sur le développement des pays du Sud. Ils représentent en effet un véritable dictat politique ultralibéral. Loin de régler les problèmes économiques et de conduire à des processus de développement, ils minent des économies locales déjà fragiles. A ce sujet, nous souhaitons appuyer le rapport de l’expert Fantu Cheru présenté au groupe de travail sur les programmes d’ajustement structurels qui met bien en lumière le système de domination instauré suite à la “crise de la dette” des années 80. Beaucoup de pays ont été mis sous la tutelle des organisations financières internationales et ont ainsi, progressivement, perdu une très grande partie de leur souveraineté politique. Ceci est pourtant en contradiction flagrante avec la Déclaration sur le droit au développement.

Aujourd’hui, les sociétés transnationales, se constituant en oligopoles, se révèlent les redoutables prédateurs des petites et moyennes entreprises. En poussant à la privatisation et à la libéralisation, la Banque Mondiale et le FMI encouragent le rachat de l’économie nationale des pays du Sud par de gigantesques groupes financiers internationaux. Pourtant, M. Kofi Annan ne voit en cela aucun problème, bien au contraire, même si la souveraineté et le droit au développement en sont menacés. Dans son rapport sur l’esprit d’entreprise,4 il encourage la vente de société publique en déclarant que “Si les pouvoirs publics désirent exploiter plus efficacement les anciennes entreprises d’Etat, ils doivent envisager d’en céder la propriété et la gestion (à des investisseurs dotés de l’expérience et du savoir-faire nécessaires pour améliorer le rendement), même s’il faut parfois vendre les avoirs à des acquéreurs étrangers”. Le PNUD, de son côté, ouvre grandes ses portes aux sociétés transnationales dans son initiative appelée Global Sustainable Development Facility – 2B2M: 2 Billion to the Market by the year 2020. Le CETIM et le MRAP pensent, comme de nombreuses ONG qui ont déjà manifesté leur préoccupation5, que ce projet pourrait causer un grand tort à l’indépendance et à la crédibilité de cette institution spécialisée de l’ONU. Associé à plusieurs sociétés transnationales violant les droits humains, le PNUD légitime leurs politiques destructrices tout en leur permettant par la même occasion de se construire une image respectable et une couverture médiatique très importante.

En conclusion, le CETIM et le MRAP s’interrogent sur l’avenir des Nations Unies en tant que garant des Droits Humains. En effet, l’ONU pourra-t-elle garantir le droit au développement si l’indépendance par rapport aux pouvoirs économiques n’est pas respectée? C’est pourquoi, nous demandons aux instances des Nations Unies de bien vouloir reconsidérer leurs positions relatives à l’ouverture aux intérêts privés des sociétés transnationales, et ce afin de respecter les instruments internationaux relatifs aux Droits Humains.

Catégories Cas Déclarations DROITS HUMAINS Sociétés transnationales
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