Dans certains pays, bien que les droits des populations autochtones soient proclamés dans des lois ou dans la Constitution, ils restent sans effets dans la pratique. Comment peut-on parler de respect pour les cultures indigènes lorsqu’il est permis à des Etats ou à de gigantesques entreprises de détruire la relation des peuples autochtones avec leur terre afin d’exploiter les ressources qu’elles contiennent ? Comment parler de «partenariat» si des projets appelés de «développement» sont élaborés et imposés dans des territoires indigènes sans la participation des populations concernées et même parfois à leur insu ?
Force est de constater que sous couvert de mondialisation, l’idéologie néolibérale, présentée comme unique solution aux problèmes de toutes les sociétés de la planète, encourage non seulement le pillage des terres indigènes mais aussi la destruction irrémédiable de l’environnement par les sociétés transnationales (STN), et ceci, pour la plupart du temps, avec la complicité des Etats. Bien souvent, les discours sur le «développement» et le progrès des régions «arriérées», sur la lutte pour l’emploi et contre la faim, etc. tenus par les autorités étatiques et les représentants des STN ignorent complètement la réalité des peuples autochtones qui ont su préserver durant des siècles ces territoires où leurs ancêtres ont créé leur culture et leur histoire.
A titre d’exemple, en Colombie, bien que soient consacrés dans la Constitution nationale1 la reconnaissance et le respect de la diversité ethnique et culturelle, l’égalité et la dignité de toutes les cultures, et le devoir de l’Etat et des individus de protéger la richesse culturelle et naturelle de la Nation, et malgré la ratification de la Convention N° 169 de l’OIT, les droits des peuples autochtones sont constamment violés pour donner la priorité aux intérêts économiques du pouvoir et des grandes sociétés transnationales.2
Le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) tient à attirer votre attention sur la situation critique et urgente du peuple Embera-Katio et des pêcheurs de la région du fleuve Sinu, actuellement menacés par le remplissage imminent du barrage URRA 1. La mise en eau de ce barrage est en passe de détruire toute la dynamique socio-économique et culturelle ainsi que l’équilibre environnemental dans le bassin du Sinu, un système fluvial d’une richesse culturelle et biologique incomparable, se déversant sur la côte caraïbe de la Colombie.3
Des sociétés transnationales suédoises et russes, avec la collaboration d’entités publiques régionales et nationales ainsi que celle de grands propriétaires terriens soutenus par des groupes paramilitaires, ont projeté la construction de deux gigantesques barrages sur le fleuve Sinu (Urra I et II) et voudraient réaliser ce projet au plus vite. Le recours à l’intimidation et à l’assassinat, à l’égard d’indigènes Emberas-Katio et de leurs leaders, d’intellectuels et de scientifiques critiques, de pêcheurs ou de défenseurs des droits de l’homme, a jusqu’ici été la norme, et ceci en toute impunité.4
La phase de construction du premier barrage est déjà achevée et n’attend que le feu vert des autorités pour son remplissage. Les ressources en poisson, base de vie du peuple Embera, ont déjà dramatiquement diminué. Par ailleurs, l’inondation de terres fertiles et de sites sacrés des peuples autochtones de la région risquent d’avoir lieu sans que n’aient été dûment réalisées, ni les consultations avec les populations concernées, ni la reconnaissance de ses impacts négatifs, ni encore l’octroi d’indemnisation ou de compensation. La mise en eau du barrage entraînerait des conséquences écologiques désastreuses5. Relevons que des expériences catastrophiques dans des conditions similaires existent déjà, comme par exemple celle du barrage de Tucurui au Brésil.
Résistance des pêcheurs et des communautés indigènes de la région
Face à ces menaces, de nombreuses protestations, manifestations, pétitions ainsi qu’une occupation des bureaux de la compagnie URRA et du Département national de planification ont été organisées, ceci malgré les risques énormes pris par les participants et les conditions de violence extrême dans lesquelles ils tentent de se faire entendre. A titre d’exemple, nous pouvons citer l’ultimatum de massacre lancé en février dernier à l’ensemble du peuple Embera Katio par le leader national d’une des forces paramilitaires, au cas où ceux-ci refuseraient de quitter leurs terres ancestrales.
Suite à deux actions en justice entreprises par les Emberas et les pêcheurs au niveau national, la Cour constitutionnelle de Colombie a suspendu la mise en eau du barrage jusqu’à ce que des études d’impact sérieuses soient effectuées, que les autorités légitimement élues des Emberas Katio soient reconnues et que des mesures soient prises pour compenser les impacts négatifs du barrage.6
Malgré cela, il est fort à craindre que le barrage soit rempli de force. D’une part, car tout processus de concertation démocratique est pour le moment rendu impossible en raison de la violence permanente régnant dans la région. D’autre part, car le Congrès et le gouvernement ont lancé différentes initiatives visant à affaiblir les droits des peuples et à prioriser les mégaprojets transnationaux.7
Pour ces raisons, le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) demande instamment aux membres de la Sous-Commission d’intervenir auprès du gouvernement colombien afin:
– De faire reconnaître et respecter effectivement le droit des peuples autochtones à décider de leur propre développement et de la gestion de leurs terres, territoires et ressources naturelles, tel que l’établit la Convention 169 de l’OIT, et d’en assurer le respect par les sociétés transnationales, par l’armée et par les groupes armés ;
– D’obliger l’entreprise URRA à respecter le jugement de la Cour constitutionnelle ;
– De rétablir les bases économiques de subsistance du peuple Embera Katio ;
– De ne pas autoriser la mise en eau du barrage Urra tant que n’aura pas été signé un accord avec le peuple Embera Katio et les pêcheurs du syndicat ASPROCIG, et ce, sans pressions ni menaces ;
– D’effectuer des enquêtes approfondies sur tous les crimes commis à l’encontre des opposants aux barrage URRA et de mettre fin à l’impunité.
Par ailleurs, le CETIM demande au Rapporteur Spécial chargé d’étudier la relation des peuples autochtones avec la terre de considérer ces cas. A nos yeux, on ne peut brader le respect des droits des peuples autochtones sur l’autel des intérêts économiques que représentent leurs ressources naturelles. Les problèmes posés par l’exploitation de ces territoires sont cruciaux pour les peuples autochtones partout dans le monde; leur pleine participation dans les décisions est essentielle.
Finalement, le CETIM est vivement préoccupé par le fait que la Commission des droits de l’homme ne s’est toujours pas prononcée sur le Projet de Déclaration des droits des peuples autochtones, adopté par la Sous-Commission. C’est pourquoi il serait important que la Sous-Commission donne un signal dans ce sens à la Commission des droits de l’homme.