Rapport de l’expert indépendant sur les effets des politiques de réforme économique et de la dette extérieure sur la jouissance effective de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels
Monsieur le Président,
Si le dernier rapport de l’expert indépendant contient quelques propositions intéressantes telles que l’harmonisation des procédures internes, statuts et structures des Institutions financières internationales (IFI) avec le respect des droits humains ou l’introduction des coûts de la prévention des violations des obligations internationale dans le domaine des droits humains dans le cadre d’analyse de la viabilité de la dette, il comporte plusieurs points préoccupants1.
Premièrement, le problème essentiel qui se dégage de toutes les suggestions de l’expert indépendant est qu’il ne remet jamais en cause la légitimité, voire la légalité de telle ou telle dette, ni les obligations de remboursement. Faut-il rappeler que dans son rapport précédent2, il soulevait, à juste titre, le besoin d’accorder un statut spécial aux dettes considérées illégitimes dans le cadre des campagnes d’allègement. Partir des origines de l’endettement afin de mettre en lumière toutes les responsabilités, surtout celles des pays du Nord, et donc réaliser des audits nationaux précis et indépendants de la dette des pays du Tiers Monde, devrait être la première étape indispensable. [L’expert indépendant devrait promouvoir de tels instruments, tout comme l’ONU, pour des besoins de justice sociale et économique, avant de parler d’éventuels rééchelonnements, allègements, etc. De plus, l’expert indépendant semble oublier ou négliger le poids des rapports de force existants, en continuant à mettre sur le même pied d’égalité créditeurs et emprunteurs. Cette vision ne peut que faire perdurer la crise de la dette et les violations des droits humains et tend à relativiser leur portée et priorité.]
Deuxièmement, il propose dans son projet de principes directeurs des « normes minimales et essentielles » en matière de droits humains, suivant la situation de chaque pays, qui seraient considérés comme des outils d’évaluation des effets des réformes économiques sur les droits humains, sans toutefois décrire précisément ce qu’il entend par normes minimales, qui les définirait, qui les choisirait, etc. Cette proposition est assez inquiétante car cela revient à remettre en cause le principe d’universalité des droits humains.
[Selon l’expert, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) pourraient être des critères provisoires pour l’élaboration de ces normes. Il est vrai qu’il est difficile de faire plus minimal… tant les OMD constituent un recul important dans les ambitions de développement que s’étaient fixés les Etats membres de l’ONU, surtout par rapport aux droits que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturel contient et qui a été ratifié par plus de 150 Etats. Pourtant ces OMD, alors même que le Secrétaire général de l’ONU doute de leur réalisation en 2015, souffrent de nombreuses critiques dont l’expert indépendant pourrait prendre connaissance3.]
Enfin, l’expert indépendant propose la modification de son mandat pour que ce dernier devienne celui de « l’examen des effets de la gestion des finances publiques sur la réalisation des droits humains fondamentaux ». Ce changement taxinomique est en fait un glissement sémantique préoccupant. En effet, cela reviendrait à considérer que les Programmes d’ajustement structurel (PAS) ont pris fin et que les pays endettés sont maintenant en mesure d’élaborer des politiques de finances publiques d’une manière autonome. Contrairement à ce qu’affirme l’expert, les documents stratégiques de réduction de la pauvreté (DSRP) qui ont remplacé les PAS depuis une dizaine d’années, car trop impopulaires, n’ont pas permis aux réformes économiques de devenir de véritables stratégies de réduction de la pauvreté et aux pays débiteurs (pauvres) de devenir davantage « maîtres de leur destin ». [Des organisations luttant pour l’annulation de la dette du Tiers Monde et des rapports de la CNUCED ont constaté leur échec en matière de réduction de la pauvreté4.] En effet, ils ne prennent pas du tout en compte l’impact des facteurs externes macroéconomiques, tout en continuant à associer à cette initiative toute une série de conditionnalités. [Même si les DSRP associent sur le papier tous les « partenaires », ce sont le FMI et la Banque mondiale qui tranchent de façon unilatérale en fin de course5.]
[Enfin, tant que la libéralisation du commerce (dont l’agriculture), les investissements étrangers directs (non soumis au respect des droits humains universels), entre autres, feront partie des réformes économiques prônées par les IFI (et donc des DSRP), ces politiques ne pourront pas être considérées comme permettant de réduire la pauvreté, car leur échec a déjà été démontré.]
Le choix du vocabulaire par l’expert indépendant n’est pas anodin : passer de « politiques de réforme économique » à « gestion économique » revient à dépolitiser le thème de la dette et donc à ne pas saisir l’histoire de la crise de la dette et d’éluder toutes les responsabilités. Il ne peut y avoir de développement sans justice. Avec une telle modification du mandat, la lutte et la promotion pour la justice sociale est compromise.
12 mars 2008