CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME
22ème session
Février 2013
A. INTRODUCTION1
Malgré le processus de paix entamé par le mouvement indépendantiste basque en 2011, les violations des droits humains contre les citoyens du Pays Basque se poursuivent. Elles sont la conséquence de l’état d’exception mis en place par les gouvernements français et espagnol pour lutter contre le mouvement indépendantiste. La situation des 606 prisonniers politiques actuellement détenus dans 85 prisons est particulièrement problématique.
B. DISPERSION ET VIOLATION DU DROIT À LA PROTECTION DE LA FAMILLE DES PRISONNIERS POLITIQUES
Alors que les Etats devraient accorder une protection particulière à la famille, considérée comme « l’élément naturel et fondamental de la société » (art. 10.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels – PIDESC), les Etats français et espagnol violent ce droit en imposant aux détenus basques une politique de dispersion pénitentiaire, visant à les emprisonner le plus loin possible de leurs domiciles et de leurs proches.
Cela entraîne de nombreuses conséquences inacceptables tant pour les prisonniers que pour leurs familles. Les prisonniers politiques basques se trouvent emprisonnés à une moyenne de 632 Km de leur lieu d’origine pour les personnes détenues dans l’Etat espagnol (443) et de 808 Km pour les personnes détenues dans l’Etat français (134). Cela rend les contacts avec leurs proches très pénibles et détruit psychologiquement la personne détenue, se trouvant déjà dans un environnement hostile la rendant particulièrement vulnérable. La dispersion entraîne également des complications quant aux droits de la défense puisque les avocats doivent faire de très longs trajets et occasionne des frais très importants pour les prisonniers et leurs familles. Ces familles et ami-e-s doivent parcourir en moyenne 1300 km une fois par semaine pour voir leurs proches incarcérés, pour une dépense mensuelle moyenne de 2000 Euros par famille pour les voyages (24’000 Euros par année). Ces longs déplacements entraînent également un risque accru d’accidents de la circulation. Plus de 400 se sont déjà produits depuis que la politique de dispersion, approuvée en 1987, est entrée en vigueur en 1989 et 16 personnes en sont décédées.
C. PRISONNIERS MALADES
Les Etats doivent traiter les personnes détenues de manière conforme à la dignité humaine (art. 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques – PDCIP) et leur permettre de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elles soient capable d’atteindre (art. 12 du PIDESC).
Les longues années passées dans des conditions de détention difficiles et la pression constante entraînent de nombreux problèmes physiques et/ou psychologiques pour les personnes détenues. De plus, le suivi médical en prison est généralement réduit au minimum et il est rendu encore plus compliqué par les multiples mesures de sécurité qui sont imposées aux prisonniers basques. Ainsi, un simple diagnostic devient la plupart du temps un véritable parcours du combattant : des mois d’attente pour un rendez-vous – souvent annulé au dernier moment –, des transferts à l’hôpital sous escortes spectaculaires, des incidents à répétition, des examens médicaux ou des séjours plus longs à l’hôpital sous surveillance constante de fonctionnaires de prison ou de policiers. La prison refuse dans la plupart des cas la permission de recevoir la visite d’un médecin de confiance, pourtant prévue en Espagne. Il est également très difficile voire impossible de récupérer le dossier médical d’un prisonnier. De plus, le secret médical est inexistant en prison. Cette situation est, dans son ensemble, contraire au droit à la santé et la conséquence d’une volonté politique d’infliger aux prisonniers politiques basques des souffrances allant bien au-delà de celles « inévitables » accompagnant la privation de liberté.
Pour 13 prisonniers, la situation est particulièrement inquiétante car ils souffrent de maladies graves. Leur incarcération affecte négativement leur état de santé déjà durement mis à l’épreuve. Or, cela est contraire aux législations nationales françaises et espagnoles prévoyant que la détention d’une personne souffrant d’une maladie grave et incurable doit être suspendue Il s’agit de :
Jesus Maria « Txus » MARTIN HERNANDO (Basauri) – PRISON: Zaballa. Né en 1960. Arrêté en 2002. Schizophrénie dysthymique avec des épisodes délirants.
Iñaki ERRO ZAZU (Iruñea) – PRISON: Almeria. Né en 1960. Arrêté en 1987. Ischémie myocardique sévère de type SCASEST (Syndrome Coronarien Aigu Sans Élévation de ST). Cathétérisme cardiaque avec implantation de 3 stents.
Josetxo ARIZKUREN RUIZ (Iruñea) – PRISON : A Lama (A Coruña). Né en 1958. Arrêté en 1999. Ischémie myocardique sévère. Cathétérisme cardiaque avec implantation d’un stent.
Isidro GARALDE BEDIALAUNETA (Ondarroa) – PRISON : Puerto I (Cádiz). Né en 1951. Arrêté en 1985. Ischémie myocardique – infarctus aigu du myocarde de type SCASEST. Prostatite. Cataracte. Fibrillation auriculaire. Adénome de la prostate.
Gotzone LOPEZ DE LUZURIAGA FERNANDEZ (Agurain) – PRISON : Martutene.
Née en 1959. Arrêtée en 1989. Cancer du sein.
Jose Angel BIGURI CAMINO (Menagarai) – PRISON : Martutene. Né en 1955. Arrêté en 1989. Néoplasie de type adénocarcinome de la prostate (cancer).
Inmaculada BERRIOZABAL BERNAS (Zegama/Elorrio) – PRISON : A Lama (Pontevedra). Née en 1951. Arrêtée en 2009. Diabète mellitus de type 2. Pied diabétique. Hypertension artérielle. Arthropathie psoriasique. Asthme bronchique modéré. Prothèse au genou.
Gari ARRUARTE SANTA CRUZ (Hernani) – PRISON : Almeria. Né en 1980. Arrêté en 2003. Spondylarthrite ankylosante. Arthralgie des membres inférieurs.
Iñaki ETXEBERRIA MARTIN (Iruñea) – PRISON : Topas (Salamanca). Né en 1964. Arrêté en 1996. Myopie majeure à longue évolution. Hémorragie rétinienne de l’œil droit. Aphakie de l’œil gauche. Glaucome bilatéral.
Jesus Maria MENDINUETA FLORES (Arbizu) – PRISON: Zuera (Zaragoza). Né en 1968. Arrêté en 1991. Discopathie dans la colonne vertébrale (en conséquence, fortes douleurs au cou et sciatique). Hernie discale. Maladie rhumatismale avec affection sacro-iliaque et répercussion systémique (en conséquence, uvéite antérieure). Spondylarthrite ankylosante.
Aitzol GOGORZA OTAEGI (Orereta) – PRISON : Basauri. Né en 1975. Arrêté en 1999. Troubles obsessionnels compulsifs.
Jose Miguel ETXEANDIA MEABE (Larrabetzu) – PRISON : Topas (Salamanca). Né en 1960. Arrêté en 2003. Troubles obsessionnels compulsifs. Hépatite C.
Jose Ramon LOPEZ DE ABETXUKO LIKINIANO (Gasteiz) – CÁRCEL: Villabona (Asturias). Né en 1949. Bradycardie symptomatique. Diagnostic secondaire: adénome de la prostate. Cervicoarthrosis: cervicalgie. Coxalgie.
D. LONGUES PEINES
Le but de la peine devrait être l’amendement et le reclassement social (art. 10.3 du PIDCP) et toute privation de liberté devrait être conforme aux prescriptions légales pour ne pas être qualifiée d’arbitraire (art. 9.1 du PIDCP).
Or, les prisonniers politiques basques sont condamnés à des peines pouvant aller jusqu’à 30 ans de prison, ce qui affecte sérieusement leur intégrité physique et mentale et empêche tout reclassement social.
En France trois prisonniers politiques basques sont détenus depuis plus de 22 ans. En général la confusion des peines, c’est à dire l’absorption des peines plus légères par la peine plus sévère en cas de multiplicité d’infractions en concours entre elles, est systématiquement refusée. Ainsi une personne condamnée à plusieurs peines, dont la plus sévère est de cinq voire sept ans, peut se trouver à purger jusqu’à 30 ans de prison.
En Espagne, la sentence STS 197/2006, connue sous le nom de la Doctrine Parot, a donné lieu à une nouvelle interprétation de l’application des remises de peine, en claire violation du droit à la sécurité juridique et du droit à la liberté. Cela va également à l’encontre de la non-rétroactivité de la norme pénale. Ainsi, contrairement à ce qui se passait jusqu’à la promulgation de cette sentence, les réductions de peine doivent maintenant se calculer sur la totalité des peines2 auxquelles l’inculpé était condamné au lieu de s’appliquer à la durée maximale légale d’emprisonnement (30 ans). Le prisonnier voit ainsi, dans la pratique, sa libération repoussée de plus de 10 ans. De plus, ce dernier en vient même à connaître ce nouveau calcul de la sentence à accomplir le jour même où il était censé être libéré. Cette nouvelle interprétation a été appliquée à 85 prisonniers politiques basques jusqu’à aujourd’hui.
En juillet 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné à l’unanimité l’Etat espagnol pour l’application de cette doctrine 197/2006 dans le cas de la prisonnière politique basque Inés del Río3. Cependant, le gouvernement espagnol n’a pas reconnu la validité de ladite sentence de la Cour, en niant son application et en maintenant Inés Del Río en prison, continuant ainsi la violation des droits fondamentaux. Il a fait appel et la Grande Chambre de la Cour européenne doit se prononcer fin mars 2013.
E. DETENTION PREVENTIVE
Tout individu a droit à la liberté (art. 9.1 du PIDCP). La détention avant jugement ne doit pas être la règle mais il faut, lorsque cela est possible, privilégier d’autres mesures moins incisives pour garantir sa présence au jugement (art. 9.3 du PIDCP), jugement qui devra être rendu sans un retard excessif (art. 14.3.c du PIDCP).
Si la loi espagnole considère également que la prison préventive « ne devrait pas se prolonger plus que ce qui est nécessaire », (art. 503 à 505 du Code pénal espagnol), cette même loi permet une durée maximale pour la préventive de quatre ans. En conséquence de quoi, il arrive que des citoyens basques incarcérés avant jugement purgent des peines préventives d’une durée supérieure à celles pour lesquelles ils seront condamnés, quand ils ne sont pas acquittés. Dans de tels cas, aucune réparation n’est prévue pour la détention injustifiée et également illicite car en violation du PIDCP. Actuellement, de dizaines de personnes se trouvent en détention préventive et le gouvernement espagnol refuse leur remise en liberté.
F. CONCLUSION
Aussi bien l’Etat espagnol que l’Etat français continuent de violer les droits des citoyens basques et ce sans tenir en compte les recommandations internationales répétées à plusieurs reprises par des organes internationaux4. Cependant, les deux Etats concernés (France et Espagne) ont ratifié la plupart des instruments internationaux en matière de droits humains, dont les deux Pactes internationaux relatif aux droits humains précités. A ce titre, ils sont tenus d’honorer leurs engagements en respectant et en mettant en œuvre effectivement les droits humains de leurs citoyens. C’est pourquoi, nous demandons au Conseil des droits de l’homme d’intervenir auprès des gouvernements français et espagnols pour qu’ils :
– mettent fin à la dispersion imposée aux prisonniers politiques basques ;
– mettent fin à la violation du droit à la santé et du droit à la dignité humaine et en particulier libèrent les prisonniers atteints d’une maladie grave et incurable ;
– mettent fin aux longues peines : le gouvernement espagnol devrait adapter sa politique pénitentiaire aux exigences du droit européen et libérer les personnes détenues en vertu de la Doctrine Parot et le gouvernement français devrait reconnaître le droit à la confusion des peines ;
– réduisent le temps de la détention préventive, mettent fin aux détentions préventives injustifiées et prévoient une indemnité pour les personnes ayant purgé des détentions préventives plus longues que la condamnation, ou ayant été acquittées ;
Nous demandons également au Rapporteur spécial sur la torture, le Groupe de travail sur la détention arbitraire et le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression et le Rapporteur spécial sur le droit de réunion et d’association pacifiques de se rendre en France et en Espagne d’enquêter sur les violations mentionnées.