Lors de sa 20e session, tenue à Genève entre le 29 avril et le 3 mai, le Groupe de travail intergouvernemental du Conseil des droits de l’homme de l’ONU s’est penché sur le contenu et la portée du futur instrument international juridiquement contraignant sur le droit au développement.
Rappel historique
Pour rappel, le droit au développement découle de la Déclaration sur le droit au développement, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1986, avec une seule opposition (États-Unis). Bien que ces derniers aient rejoint le consensus en 1993 lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, tenue à Vienne, les deux Groupes de travail d’experts créés pour la mise en œuvre dudit droit furent un échec1. En 1998, l’ancienne Commission des droits de l’homme, prédécesseur de l’actuel Conseil des droits de l’homme, a décidé de créer un Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée, pour accomplir cette tâche2.
Trente trois ans après son adoption, force est de constater que la Déclaration n’est toujours pas mise en œuvre et que toutes les tentatives au sein du Groupe de travail intergouvernemental dans ce sens sont entravées depuis 20 ans par les États occidentaux. C’est pourquoi les pays du Sud, regroupés au sein du Groupe des non- alignés, ont pris l’initiative de confier audit Groupe de travail l’élaboration d’« un projet d’instrument juridiquement contraignant sur le droit au développement »3.
Il convient de rappeler une fois de plus, comme nous l’avons précisé à maintes reprises, qu’il ne faut pas confondre les notions de développement, d’aide au développement ou de croissance économique avec le droit au développement4.
Position des États
Poursuivant leurs attaques contre le système multilatéral, les États-Unis ont quitté l’an dernier (juin 2018) le Conseil des droits de l’homme et ne participent plus aux travaux du Groupe de travail intergouvernemental sur le droit au développement.
Le Japon s’est clairement positionné contre l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur le droit au développement, menaçant de quitter le Groupe de travail.
L’Union européenne, tout en participant aux travaux du Groupe de travail, oppose les Objectifs du développement durable au droit au développement.
Composé de plus de 120 États, le mouvement des non -alignés regroupe essentiellement les pays du Sud. C’est ce mouvement qui prône, avec l’appui notable de la Chine, l’adoption d’un instrument international juridiquement contraignant sur le droit au développement et il est l’acteur principal du Groupe de travail.
Les enjeux
Comme mentionné ci-dessus, pour l’Union européenne, les Objectifs du développement durable sont préférables au droit au développement. De quoi parle-t-on ?
Tout d’abord, présentés comme la solution à tous les maux de la société (pauvreté, famine, discrimination, santé, éducation, etc.), les Objectifs du développement durable ne sont que des « Objectifs ». Il n’y a donc aucun moyen de contraindre les États à s’engager pour leur mise en œuvre.
Deuxièmement, les Objectifs du développement durable ne remettent pas en cause les politiques économiques et commerciales actuelles qui sont à l’origine du mal développement. En effet, il suffit d’observer la progression vertigineuse des inégalités dans le monde. De plus, année après année, les chiffres des agences spécialisées de l’ONU restent alarmants : le nombre de personnes souffrant de la faim et de malnutrition avoisine le milliard ; le double n’a pas accès à l’eau potable et/ou à un logement convenable ; 4,5 milliards sont privées d’« installations sanitaires gérées de manière sûre » ; plus de 60 % des 3,3 milliards de personnes travaillent dans le secteur informel et n’ont pas la sécurité de l’emploi… Cela démontre, si besoin est, l’échec patent du modèle de développement mis en œuvre depuis plusieurs décennies.
Troisièmement, les États comptent sur le secteur privé (il faut lire : les sociétés transnationales) pour la réalisation de ces objectifs. Pourtant, les problèmes posés par la plupart de ces entités, motivées uniquement par des gains immédiats et maximum, sont légion. A commencer par le non- respect des droits humains, des normes sur le travail et sur l’environnement. De plus, pour maximiser leurs profits et pour échapper à toute poursuite, les sociétés transnationales ont recours à des montages juridiques complexes de sorte qu’il est difficile de remonter la chaîne de responsabilités. Pire, ces entités sont devenues une menace pour la démocratie, la souveraineté des États et le droit des peuples à décider de leur avenir5.
Quatrièmement, il y a fort à parier que les Objectifs du développement durable ne seront pas tenus à l’instar des Objectifs du millénaire s’il n’y a pas de changement radical des politiques néolibérales en vigueur.6
Cinquièmement, l’aide dite « au développement » par les pays du Nord est liée. Autrement dit, ce qui est donné d’une main est repris de l’autre, sans forcément correspondre aux besoins des populations concernées.
Dans ce contexte, le droit au développement, outre le fait qu’il s’agit d’un droit humain reconnu, propose une autre approche. En effet, ce droit ne se limite pas au champ économique, mais inclut aussi le développement social, culturel et politique. Les individus et les peuples sont à la fois le sujet de ce droit et les acteurs centraux pour l’élaboration des politiques et programmes pour sa réalisation. Le droit à l’autodétermination et à la souveraineté des peuples sur leurs ressources et leur avenir, conditions indispensables pour l’existence-même de toute communauté, sont au cœur du droit au développement.
Perspectives
Comme on vient de le voir, bien que majoritaire au sein de l’ONU, le mouvement des non- alignés est confronté à l’opposition des États occidentaux et de leurs alliés. Les négociations s’annoncent difficiles sur cette question cruciale. Il existe aussi des risques réels que le futur instrument contraignant soit vidé de son contenu par souci de consensus. On pourrait aussi se demander si c’est une période propice pour ce genre de négociations, vu la montée des partis politiques et/ou gouvernements réactionnaires un peu partout dans le monde. Cela dit, si l’on considère que la lutte pour les droits et l’épanouissement des peuples est permanente, il n’y a pas de répit. Il est attendu par ailleurs que l’adoption d’un instrument contraignant dans ce domaine pousse les États non seulement à coopérer de bonne foi, mais aussi à cesser de dresser des obstacles au droit au développement en adoptant des règles économiques et commerciales internationales iniques.
1 Pour de plus amples informations, prière de se référer à la publication « Le droit au développement », Melik Özden, éd. CETIM, Genève, juin 2007, disponible en trois langues (français, anglais et espagnol) et téléchargeable gratuitement ici
2 Voir la résolution 1998/72, adoptée sans vote le 22 avril 1998.
3 Cf. Résolution 39/9 du Conseil des droits de l’homme, adoptée le 27 septembre 2018 par 30 voix pour, 12 contre et 5 abstentions.
4 Voir à ce propos le bulletin n° 58 du CETIM, décembre 2018.
5 Pour de plus amples informations et analyses à ce sujet, voir « Impunité des sociétés transnationales », Melik Özden, éd. CETIM, Genève, mars 2016, disponible en trois langues (français, anglais et espagnol) et téléchargeable gratuitement ici
6 A ce propos, se référer au livre « Quel développement ? Quelle coopération internationale ? », Tamara Kunanayakan et al. co-édition CETIM, CRID, CNCD, Genève, 2007.