Deux Rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’homme ont interpellé le gouvernement chilien au sujet de la violation des droits humains dénoncée par la «Red de defensa de los territorios Araucanía» et le CETIM.
L’interpellation portait sur la criminalisation et le mauvais traitement des femmes commerçantes de rue, notamment issues des communautés mapuches de la ville de Temuco, dans la région de l’Araucanie au Chili, ainsi que des commerçantes de rue chiliennes et migrantes.
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et celui sur les droits des peuples autochtones, auteurs de l’interpellation, soulignent l’importance du commerce informel pour les populations rurales, qui est une tradition ancestrale pour ces populations vivant dans l’extrême pauvreté. Les Rapporteurs rappellent que le Chili est tenu, en vertu de la convention 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux, de reconnaître les activités culturelles des communautés indigènes afin d’assurer leur autosuffisance et leur développement économique.
Par ailleurs, les Rapporteurs soulignent que le commerce informel est légal, étant donné que la Constitution chilienne garantit la liberté d’exercer une activité économique tant qu’elle n’est pas contraire à la morale, à l’ordre public ou à la sécurité nationale et qu’elle ne contrevient pas à la loi. Cependant, la réglementation du commerce informel relève au Chili de la compétence des municipalités qui peuvent réglementer ces activités par des ordonnances. Sur cette base, la ville de Temuco a émis l’ordonnance n°3 en 2018 pour interdire le commerce de rue dans le centre-ville, qui a été appliquée par les forces de police. Les Rapporteurs déplorent le fait que, dans ce processus, les commerçantes aient été soumises à une violence et une répression continues, ainsi qu’à des traitements cruels, inhumains et dégradants de la part des inspecteurs municipaux.
Les violations invoquées concernent les droits à la vie, à l’intégrité physique, à la liberté et à la sécurité, ainsi que la liberté de travailler, empêchant ces personnes de pouvoir mener les activités qui leur permettent de subvenir à leurs besoins, ce qui accroît leur situation de pauvreté et de vulnérabilité.
De plus, les Rapporteurs affirment que l’ordonnance émise par la municipalité de Temuco affecte directement les droits des peuples autochtones, sans que ceux-ci aient été consultés au préalable. L’interpellation des experts de l’ONU se termine par une série de huit questions adressées au gouvernement chilien pour clarifier la situation, et par une annexe rappelant les instruments du droit international des droits de l’homme applicables dans ce cas et que le Chili doit respecter.
La réponse du gouvernement et de la municipalité de Temuco
Le 28 juillet 2021, deux mois après l’interpellation des Rapporteurs, le Chili a répondu très partiellement aux demandes concernant les moyens mis en œuvre pour garantir le respect de l’intégrité physique et psychologique, la liberté et la sécurité, ainsi que le droit à la liberté de travailler des personnes qui vivent du commerce de rue. Ainsi, la réponse ignore 5 des 8 questions posées par les Rapporteurs spéciaux.
La Red de defensa de los territorios et le CETIM se réjouissent que des Rapporteurs de l’ONU constatent que les interdictions du commerce de rue sont incompatibles avec le respect du cadre international des droits humains et du travail.
De plus, ce cas démontre le rôle que les mécanismes onusiens de protection des droits humains (Rapporteurs spéciaux des Nations Unies dans ce cas) peuvent jouer afin de corriger les situations de non-droit au niveau local ou national. Il s’agit donc de s’approprier ces mécanismes et de les utiliser en faveur des revendications sociales qui émanent du terrain.
L’ordonnance n°3 de Temuco devrait donc être abrogée afin de développer une nouvelle réglementation communale, avec la participation effective des commerçant·es de rue, qui garantisse l’exercice du droit au travail, la participation, et l’intégrité physique et psychologique de tous et toutes les habitant·es de la ville, y compris les commerçantes de rue.
Il est maintenant du devoir des autorités compétentes de rectifier cette situation qui viole les droits humains des populations les plus vulnérables du pays, conformément au constat des Rapporteurs spéciaux.
La Red de defensa de los territorios de la Araucanía et le CETIM resteront engagés dans la défense des droits des commerçant·es de rue de Temuco et poursuivront leurs efforts (au niveau local, national et international) dans la protection de leurs droits et leurs traditions ancestrales qui leur permettent d’échapper à la famine. En ce sens, et face à la réponse incomplète des autorités chiliennes, les deux organisations poursuivront leur travail de plaidoyer pour l’abrogation de l’ordonnance et la réglementation du commerce de rue afin de protéger les droits des populations affectées.