Dans son dernier rapport, M. S. Michael Lynk, Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des territoires palestiniens occupés, conclut que l’état d’Israël pratique un régime d’apartheid envers les Palestinien·nes.
Vendredi 25 mars 2022, dans le cadre de la 49e session du Conseil des droits de l’homme, un dialogue interactif s’est déroulé avec le Rapporteur spécial de l’ONU. Le rapport de M. S. Michael Lynk commence par rappeler que l’État d’Israël exerce une occupation permanente sur les territoires palestiniens (Cisjordanie, Jérusalem-Est et bande de Gaza) et leurs populations depuis 55 ans. Les conclusions sont alarmantes : ces dernières années, la situation des droits humains des Palestinien·nes dans ces zones s’est encore dégradée. En effet, pour maintenir son occupation, le gouvernement israélien emploie la violence de manière constante et quotidienne avec un usage arbitraire de la force physique envers les Palestinien·nes. Les colons israéliens envahissent régulièrement des villages palestiniens, parfois avec le soutien des forces de sécurité israéliennes. La brutalité des colons s’exerce sous de nombreuses formes : violence physique, tirs à balles réelles, destruction de biens, d’arbres et de cultures, intimidation… De plus, les autorités israéliennes continuent de prendre des mesures contre les organisations de la société civile palestinienne, ce qui contribue à saper le travail des organisations promouvant et soutenant les droits humains.
Face à cette discrimination de la population palestinienne, de nombreux·ses observateur·trices politiques ont dénoncé le passage d’une situation d’occupation, déjà menée au mépris des règles du droit international, à un régime d’apartheid assumé par le gouvernement israélien. Le rapport du Rapporteur spécial tend à corroborer ces dénonciations d’un point de vue juridique. En ce sens, l’interdiction de l’apartheid est établie par le droit international coutumier et conventionnel. Cette interdiction est même une norme péremptoire du droit international pour laquelle aucune dérogation n’est autorisée et qui astreint les États à coopérer pour mettre fin à toute violation la concernant.
L’interdiction a d’abord été consacrée par la conclusion de la Convention internationale sur l’élimination et la répression des crimes d’apartheid (ICSPCA) en 1973. En 1998, la criminalité de l’apartheid a ensuite été développée avec l’adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale1. En février 2021, la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale a statué qu’elle avait compétence pénale pour reconnaître des plaintes concernant la situation en Palestine.
En s’appuyant sur les bases légales de la Convention contre l’apartheid et du Statut de Rome, le Rapporteur spécial propose la construction d’une définition du « crime contre l’humanité d’apartheid », composée de trois critères cumulatifs :
1) Il existe un régime institutionnalisé d’oppression et de discrimination raciale systématique ;
2) Ce régime doit avoir été établi avec l’intention de maintenir la domination d’un groupe racial sur un autre ;
3) Il doit être fait état d’actes inhumains commis comme faisant partie intégrante du régime.2
Ainsi, pour déterminer si un régime d’apartheid a bien été mis en place dans les territoires palestiniens occupés, les trois conditions citées ci-dessus doivent être remplies.
Premièrement, s’agissant du critère de régime institutionnalisé et systématique d’oppression et de discrimination raciale, le Rapporteur spécial relève que les colons israéliens vivant en Cisjordanie ont accès aux mêmes droits économiques et sociaux (droits et accès à l’eau, à l’électricité et à d’autres installations) que les Israélien·nes, alors que les 2.7 millions de Palestinien·nes de Cisjordanie ne jouissent d’aucun de ces droits, protections et privilèges. De plus, Israël impose un système militaire oppressif en Cisjordanie qui s’applique aux Palestinien·nes, mais pas aux colons israéliens.
Une des stratégies centrales de la domination israélienne est basée sur la fragmentation du territoire palestinien en zones séparées les unes des autres. Ainsi les territoires de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est sont séparés les uns des autres. Cette fragmentation est imposée géographiquement et matériellement par Israël à travers la construction de murs, de points de contrôle de la population, de barricades, de zones de bouclage militaire, de routes réservées aux Palestinien·nes et d’autres réservées aux Israélien·nes. De plus, Israël surveille de près la société palestinienne grâce à une cybersurveillance avancée et à son contrôle total sur le registre de la population. Qui plus est, le droit de propriété des Palestinien·nes est également bafoué3 : selon le rapport annuel 2018 de Peace Now, l’attribution de 99,76 % des terres a été réservée à l’usage exclusif des colonies israéliennes.
Deuxièmement, le critère du maintien de la domination d’un groupe racial sur un autre est notamment justifié par la promulgation de la Loi fondamentale par la Knesset israélienne en 20184. Cette loi institue l’inégalité et une discrimination raciale-nationale en distinguant les droits des colons israéliens juifs de ceux des Palestinien·nes et des autres citoyen·nes non juif·ves d’Israël.
Enfin, l’imposition de ce système de discrimination institutionnalisée s’est appuyée sur la pratique régulière d’actes inhumains. Ces actes comprennent des violations aux droits à la vie et à la liberté, un déni de pleine participation à toutes les fonctions d’une société, des mesures qui divisent la population selon des critères raciaux, l’exploitation du travail d’un groupe racial ou l’utilisation de la torture. La répétition de ces actes sur de longues périodes et leur approbation par la Knesset et le système judiciaire israélien indiquent qu’ils ne sont pas le résultat d’actes aléatoires et isolés, mais font partie intégrante du système de gouvernement israélien.
Ainsi, en appliquant les trois étapes du test, le Rapporteur spécial a conclu que le système de gouvernement en vigueur dans les territoires palestiniens occupés répond à la norme en vigueur prouvant l’existence de l’apartheid.
En ce sens, M. S. Michael Lynk recommande au gouvernement israélien de s’acquitter de ses obligations au regard du droit international et de mettre un terme complet et inconditionnel à son occupation du territoire palestinien, en veillant à mettre fin à toutes les lois, pratiques et politiques discriminatoires qui privilégient les Israélien·nes juif·ves vivant dans les territoires occupés et soumettent les arabes palestinien·nes. Le Rapporteur spécial demande aussi à la communauté internationale d’accepter et d’adopter les conclusions, appuyées par des organisations de défense des droits humains, selon lesquelles Israël pratique l’apartheid envers les Palestinien·nes.
Finalement, il recommande que l’ONU rétablisse le Comité spécial contre l’apartheid pour enquêter sur toutes les pratiques de discrimination et d’oppression systématiques censées constituer l’apartheid partout dans le monde, y compris dans les territoires palestiniens occupés.
Pour approfondir la question de l’apartheid en Israël :
– Le CETIM participe à la campagne et à la déclaration suisse «Apartheid Free Zone». Pour cette dernière, différents espaces et associations se déclarent comme zones libre d’apartheid israélien, en refusant de collaborer avec le régime d’apartheid établi par le gouvernement israélien sur le peuple palestinien (personnes réfugiées, vivant en Israël ou dans les territoires palestiniens occupés) et en appelant à la lutte contre tout ce qui contribue au maintien du régime d’apartheid. Voir le site : https://www.apartheidfree.ch/fr/home-francais/
– Article du CETIM sur les violations du droit à l’eau en Palestine : https://www.cetim.ch/29549-2/
– Déclaration du CETIM sur le régime d’apartheid en Israël/Palestine : https://www.cetim.ch/declaration-cetim-situation-droits-de-lhomme-palestine/
– Déclaration du CETIM sur la répression et les violations des droits humains en Palestine : https://www.cetim.ch/repression-et-violations-des-droits-humains-en-palestine/
– Le « Housing and Land Rights Network – Habitat International Coalition » présente sur son site une bibliographie aussi complète que possible d’écrits sur le système de discrimination institutionnalisée et matérielle (l’apartheid) contre le peuple palestinien imposé par l’État d’Israël. Cette bibliographie est divisée en deux sections : (1) des livres complets sur le sujet et (2) d’autres publications : articles, rapports, brochures et chapitres pertinents dans des livres sur des sujets plus généraux et inclusifs. Pour voir la bibliographie : https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwic1OGomOn2AhWkM-wKHTLMDsU4ChAWegQIAhAB&url=http%3A%2F%2Fwww.hlrn.org%2Fimg%2Fdocuments%2FApartheid_bibliography.pdf&usg=AOvVaw2gPB1hKxyj0ogcQ8EAvcYE
– Article du CETIM, “Durban I pas en avant, Durban II pas en arrière?”, https://www.cetim.ch/durban-i-pas-en-avant-durban-ii-pas-en-arri%C3%A8re%C2%A0/
Notes:
1 Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI), article 7(1)j et 7(2)h
2 A/HRC/49/25, Human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the obligation to ensure accountability and justice – Report of the United Nations High Commissioner for Human Rights, paragraphe 35.
3 La base juridique de la politique foncière israélienne est composée de 4 textes :
La loi fondamentale portant création de l’administration foncière d’Israël (1960)
La loi foncière israélienne (1960)
L’administration foncière d’Israël (1960)
Le Pacte entre l’État d’Israël et l’Organisation sioniste mondiale (Fonds national juif) (1960)
Tous ces textes disposent que les terres appartenant à l’État d’Israël resteront la propriété de celui-ci et ne seront ni vendues ni données à qui que ce soit, mais autorisent la Knesset à passer outre cette interdiction de privatisation par voie législative. En d’autres termes, Israël exerçant un contrôle de facto sur les territoires palestiniens, les lois régissant le territoire d’Israël s’appliquent également aux territoires palestiniens occupés, au détriment du droit de propriété de la population palestinienne.
4 Loi fondamentale : Israël en tant qu’État-nation du peuple juif, 19 juillet 2018.