Le CETIM et le Solifonds, qui fête ses quarante ans, ont invité Soumia Benelfatmi Elgarrab et Zaina Issayh à témoigner du quotidien des cueilleuses de fraises dans la région de Huelva, en Espagne.
« Les consommateurs et les consommatrices suisses ne savent pas dans quelles conditions les fraises qu’ils et elles consomment sont récoltées par des femmes marocaines exploitées », débute Zaina Issayh du syndicat marocain FNSA. « Nous sommes ici pour parler des conditions de travail de ces travailleuses, les faire connaître et éveiller les consciences. »
Tout commence au pays. En effet, les femmes marocaines envoyées travailler six mois dans le Sud de l’Espagne sont choisies par une commission marocaine. Les conditions de sélection sont drastiques : les candidates au départ doivent avoir au moins un enfant à charge (afin d’être sûr qu’elles reviennent à la fin de leur séjour en Europe), être issues des communautés paysannes les plus démunies et connaître le travail agricole.
« Les exploitants espagnols décident de qui sera réengagé l’année suivante. Les cueilleuses acceptent donc des conditions de vie et de travail extrêmement dures afin de ne pas perdre la seule source de revenu de leurs familles », relève Soumia Benelfatmi Elgarrab. Avant de devenir déléguée auprès du syndicat d’Andalousie SOC-SAT, elle a elle-même travaillé durant quatorze ans dans les champs de fraises de Huelva.
Logements insalubres, heures supplémentaires à la chaîne et non payées, utilisation de pesticides et autres produits nocifs pour la santé des travailleuses (et des consommateur·trices) sans aucune protection, pas de couverture médicale et conditions sanitaires déplorables, voire harcèlement sexuel dans certains cas, ces femmes voient leurs droits essentiels violés en toute impunité. « Les travailleuses sont illétrées, elles ne savent ni lire, ni écrire et ne parlent pas la langue. Elles ne peuvent donc pas se défendre. Imaginez qu’au lieu des six heures prescrites par la loi espagnole, ces femmes restent certains jours jusqu’à onze heures d’affilée dans les champs alors que ce travail est très dur et cause des dégâts à la santé », explique Zaina Issayh. « C’est du reste en partie ce dont s’occupe le syndicat SOC-SAT. Nous leur donnons des cours d’espagnol, nous leur expliquons leurs droits, nous les accompagnons dans leurs démarches administratives en cas d’accident ou de maladie. Nous essayons de faire en sorte que le maximum de six heures de travail quotidien soit respecté et que le salaire journalier de 55 euros leur soit versé en entier, sans les déductions illégales que certains patrons retiennent pour le logement, l’eau consommée durant la journée, etc. », ajoute Soumia Benelfatmi Elgarrab. Selon le témoignage des deux syndicalistes, la loi espagnole n’est pas suffisante pour protéger les travailleuses de Huelva. De plus, la corruption règne en maître dans le sud du pays. Elles notent toutefois une légère amélioration depuis l’arrivée de Pedro Sánchez à la tête du gouvernement espagnol. « Les contrôles se font plus réguliers, à des heures variées, afin de ne pas laisser le temps aux patrons de se préparer. On sent que Madrid met la pression sur cette région du pays. Cependant, il y a encore beaucoup à faire avant que les cueilleuses de fraises de Huelva aient droit à des conditions de travail dignes de ce nom. Et pour commencer, il faudrait que nos syndicats soient représentés au sein de la commission marocaine de sélection des travailleuses. Ce qui n’est pour l’instant pas le cas », termine Zaina Issayh.