A l’issue de sa 54e session (octobre 2023), le Conseil des droits de l’homme a décidé[1], par 29 voix pour[2], 13 contre[3] et 5 abstentions[4], de transmettre le projet de Pacte sur le droit au développement à l’Assemblée générale de l’ONU « pour examen, négociation puis adoption ». Initié en 2019 par le Mouvement des non-alignés (regroupant plus de 120 États du Sud), avec l’appui de la Chine, et élaboré par le Groupe de travail intergouvernemental ad hoc de cette instance, le but visé par ce Pacte est la mise en œuvre effective du droit au développement à travers le monde[5].
Tout en réaffirmant le contenu de la Déclaration sur le droit au développement (1986), ce projet de Pacte met un accent particulier sur le droit des peuples à l’autodétermination (art. 5), sur le devoir des États de coopérer entre eux pour la réalisation dudit droit, en s’attaquant entre autres « au problème de la dette extérieure des pays pauvres très endettés » (art. 13) et sur l’instauration et le maintien de la paix et de la sécurité internationales, visant le désarmement général (art. 23). Il est vrai que sans la réalisation de ces conditions, il est illusoire de parler de la mise en œuvre d’un droit au développement digne de ce nom.
Le projet de Pacte prohibe en outre toute mesure coercitive (économique ou politique) interétatique, dans le but d’obtenir des avantages, qui compromettrait la souveraineté de l’État concerné (art. 14) et prévoit des mesures spéciales ou correctives pour les pays dans le besoin (art. 15). Les peuples autochtones (art. 17) et les paysan·nes (art. 18) ne sont pas oublié.es, ni la prévention et le combat contre la corruption (art. 19). Il prévoit la création d’une Conférence des États parties (art. 26) et d’un mécanisme d’application (art. 28), composé d’expert.es indépendant.es, pour le suivi de sa mise en œuvre qui se veut « non accusatoire et non punitif ».
Certains États latino-américains se sont abstenus, arguant que le projet n’était pas « mûr » alors qu’il a été débattu pendant cinq ans, sans parler des réflexions menées au sein du Groupe de travail intergouvernemental depuis sa création (1998). D’autres, à l’instar du Mexique, ont exprimé leur « réserve » à l’adoption d’un instrument contraignant à ce sujet, s’alliant de facto à la position occidentale. A noter que le Brésil, qui tenait un discours similaire, semble avoir modifié sa position cette année, étant donné qu’il affiche désormais son soutien à l’adoption dudit Pacte, rejoignant ainsi des pays comme la Bolivie, Cuba et le Venezuela qui se sont engagés dès le départ en faveur de ce processus.
S’agissant du camp occidental et ses proches alliés, ils se sont clairement opposés à l’adoption d’un tel instrument, avançant les mêmes arguments fallacieux qu’ils utilisent depuis plusieurs années. Pour les pays occidentaux, les Objectifs du développement durable (ODD) sont largement suffisants pour répondre aux préoccupations exprimées. Ils omettent de dire que ces derniers ne sont que des « objectifs » et ne remettent pas en cause les politiques économiques et commerciales actuelles qui sont à l’origine des inégalités criantes (voir bulletin du CETIM n° 59, juin 2019). De plus, comme l’a reconnu récemment le Secrétaire général de l’ONU, ces Objectifs ne seront pas atteints, ce qui confirme notre analyse selon laquelle sans un changement structurel dans l’ordre international injuste, ces objectifs sont condamnés à rester lettre morte.
Le camp occidental s’est aussi vanté d’être le champion du monde dans l’« aide au développement », omettant de dire que cette dernière est soumise à des conditions pour les bénéficiaires. Abstraction faite de cet aspect, il faut rappeler que le droit au développement n’a rien à voir avec l’« aide » au développement. En effet, ce droit ne se limite pas au champ économique, mais inclut aussi le développement social, culturel et politique. Les individus et les peuples sont à la fois le sujet de ce droit et les acteurs centraux dans l’élaboration des politiques et programmes pour sa réalisation. Le droit à l’autodétermination et à la souveraineté des peuples sur leurs ressources et leur avenir est au cœur du droit au développement.
Les États-Unis et le Royaume-Uni sont allés encore plus loin, contestant l’existence même du droit au développement et des droits collectifs contenus dans le projet de Pacte, pour justifier leur vote négatif. Il s’agit également d’arguments fallacieux. En effet, d’une part ces pays ont rejoint le consensus sur le droit au développement en 1993, lors de la 2e conférence mondiale sur les droits humains et, d’autre part, les organes de l’ONU ont reconnu et réaffirmé à plusieurs reprises que les droits humains comportent deux dimensions : individuelle et collective. D’ailleurs, comment pouvoir jouir de droits tels que le droit à l’autodétermination, le droit d’association ou les droits culturels en ignorant leur aspect collectif ?
Il est clair qu’il n’est pas possible de satisfaire chaque État dans le cadre multilatéral qu’est l’ONU. Le but recherché dans ce genre d’exercice est de trouver le plus grand dénominateur commun, au-delà des positions particulières de tel ou tel État, afin que les collectivités publiques puissent l’appliquer à l’échelle nationale et internationale. C’est à se demander si tous ces « arguments » n’auraient pas pour but de maintenir l’ordre établi au service d’une minorité…
Militant depuis plus de vingt ans pour la mise en œuvre effective du droit au développement, le CETIM a lancé en septembre 2022 un projet de coopération et de convergence avec une série de mouvements sociaux pour la promotion du droit au développement auto-déterminé et décolonisé. Outre notre engagement auprès des instances onusiennes dédiées à ce dossier, nous participons à des rencontres nationales et internationales, tout en organisant des conférences, séminaires ou ateliers avec les mouvements sociaux et autres organisations de base à travers le monde afin de faire connaître et populariser ce droit.
[1] Cf. Résolution A/HRC/RES/54/18, adoptée le 12 octobre 2023.
[2] Afrique du Sud, Algérie, Bangladesh, Bénin, Bolivie, Cameroun, Chine, Côte d’Ivoire, Cuba, Émirats arabes unis, Érythrée, Gabon, Gambie, Honduras, Inde, Kazakhstan, Kirghizistan, Malaisie, Malawi, Maldives, Maroc, Népal, Ouzbékistan, Pakistan, Qatar, Sénégal, Somalie, Soudan et Vietnam.
[3] Allemagne, Belgique, États-Unis, Finlande, France, Géorgie, Lituanie, Luxembourg, Monténégro, Roumanie, Royaume-Uni, Tchéquie et Ukraine.
[4] Argentine, Chili, Costa Rica, Mexique et Paraguay.
[5] Cf. A/HRC/RES/50, daté du 18 juillet 2023.