Monsieur le Président,
Peut-on poser la question de la « viabilité » de la dette sans aborder celle de sa légitimité ? Autrement dit, s’agit-il d’apporter des soins palliatifs aux pays malades de la dette ou de curer la maladie en s’attaquant à ses origines ?
Après plusieurs années de débats, cette interrogation mériterait sans doute une réponse plus tranchée. Car, la simple lecture des chiffres de la dette, au fil de ces presque trois dernières décennies, tendrait à démontrer que toutes les politiques adoptées jusqu’ici n’ont eu pour seul résultat que de prolonger l’agonie. Nous dirions même de l’entretenir, tant les institutions financières ne semblent avoir poursuivi jusqu’ici qu’une seule finalité inavouée : prolonger la dette comme moyen commode de capter les richesses des pays endettés, imposer des politiques contraires aux intérêts de leur population et maintenir leurs peuples dans un état de dépendance perpétuelle. En bref, le « soutien » qui leur a été prétendument apporté rappelle fort celui qu’entretient la corde avec le pendu !
Poser la question de la viabilité de la dette sans examiner sa genèse, sans mener d’audits précis et indépendants sur chacune de ses composantes, sans suivre les méandres de leurs évolutions et métamorphoses successives, reviendrait à faire l’impasse sur la justice : qui se penche quelque peu sur les chiffres sait pertinemment que, prise dans sa globalité, la dette du tiers monde a été plusieurs fois remboursée et que, considérés dans leurs détails, la plupart de ses éléments devraient être frappés de nullité, et les personnes à leur origine sanctionnées pénalement.
Nous ne pouvons donc qu’émettre le vœu que l’expert indépendant sur les effets des politiques d’ajustement structurel et de la dette extérieur voue une attention plus soutenue à l’histoire de la dette. Non par simple curiosité intellectuelle et académique, mais pour éviter que les mêmes mécanismes ne se perpétuent. Comme l’expert le souligne avec justesse au paragraphe 30 et 31 de son rapport1, le traitement de la question de la dette touche aux fondements inaltérables de l’Organisation des Nations Unies, basés sur le droit à l’autodétermination et à l’égalité souveraine de tous les Etats. Plus fondamentalement encore, sur celui des peuples, puisque que c’est en leur nom que sa Charte s’exprime. Au travers de l’affirmation du principe de souveraineté, plus encore que d’amélioration de conditions d’existence matérielles, c’est bien d’équité et de justice qu’il est question. Il ne s’agit ni de charité, ni de compassion, encore moins de marché, mais de dignité. Et dans ce domaine comme dans d’autres, on ne saurait faire table rase du passé sous prétexte de viabilité ou de réconciliation. C’est la raison même qui amènent les peuples à exiger de façon argumentée – et irréfutable lorsqu’on considère le processus qui a conduit à la situation actuelle – un examen du problème de la dette non sous l’angle de son aménagement ou de son rééchelonnement, mais de son annulation.