Brésil: Le Rapporteur spécial de l’ONU exhorte le gouvernement et les multinationales à prendre leur responsabilité
16 janvier 2020 – Dans un compte rendu émis à l’issue de son voyage au Brésil en décembre 2019, le Rapporteur spécial sur la gestion et l’élimination des produits et déchets dangereux a clairement évoqué la responsabilité de la multinationale Vale et du gouvernement brésilien dans le drame du barrage de Brumadinho en janvier 2019.
En mars dernier, le CETIM saisissait le Conseil des droits de l’homme de l’ONU suite à la rupture du barrage de Brumadinho, propriété de la multinationale Vale, dans l’état du Minas Gerais. En collaboration avec les représentants des populations affectées brésiliennes présents à Genève (en particulier le Mouvement des affectés par les barrages, MAB), le CETIM dénonçait la responsabilité de Vale dans ce drame d’ordre criminel et organisait une rencontre avec différents Rapporteurs spéciaux pour leur demander de se rendre sur place pour enquêter (voir article paru dans le bulletin no 59 du CETIM).
Aujourd’hui, le CETIM est heureux que le Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux, Baskut Tuncak, se soit rendu au Brésil. Dans un premier compte rendu publié suite à son voyage, il prend position dans notre sens et énonce clairement que la multinationale Vale aurait pu empêcher la rupture du barrage de Brumadinho.
« Après avoir recueilli pendant cinq ans les témoignages de communautés dont les droits ont été bafoués par les milieux d′affaires, en tant que rapporteur spécial de l’ONU, je n’ai jamais vu ou entendu un traumatisme aussi grave que celui que vit la communauté de Brumadinho. » indique Baskut Tuncak.
Le 25 janvier 2019, 272 personnes ont péri à la suite de la rupture du barrage de Córrego do Feijão, à Brumadinho. Près de 10 millions de mètres cube de boue ont enseveli les victimes. Parmi elles, plus de 200 étaient des employés de Vale, en train de prendre leur pause à la cafétéria attenante au barrage.
Le Rapporteur spécial souligne : « D’après ce qui m’a été confié par la communauté, il est clair que les victimes ne sont pas seulement les 272 mères, pères, fils, filles, maris, femmes et enfants à naître qui sont morts. Loin de là. C’est toute la communauté qui a été touchée. »
Un crime « évitable et prévisible »
Le constat du Rapporteur spécial sur la rupture du barrage est sans appel: « (…) ce qui s’est passé à Brumadinho doit être investigué en tant que crime. Ce n’était pas un accident. Comme de nombreuses personnes au Brésil et ailleurs, je pense que ce désastre était “évitable et prévisible”. »
Pour appuyer son propos, le Rapporteur spécial se réfère à un autre drame, lui aussi non accidentel, celui de la rupture d’un barrage opéré par Samarco, joint venture de Vale et BHB Billiton à Mariana, dans le bassin du Rio Doce.
Baskut Tuncak rappelle aussi l’obligation de l’État de protéger les droits humains de leur population face aux activités commerciales et de ne plus s’appuyer sur les informations transmises par les milieux d′affaires, ceux-ci ayant totalement perdu leur crédibilité depuis les catastrophes des barrages.
Substances dangereuses
Dans son compte rendu, le Rapporteur spécial se montre vivement préoccupé par l′utilisation massive de substances dangereuses au Brésil et décrit les graves conséquences sur la santé et l’environnement. « (…) des milliers de décès prématurés, des millions de malades et d’invalidités résultent d’expositions évitables à la pollution toxique et à d’autres substances et déchets dangereux, notamment le rejet d’eaux usées non traitées le long de certaines parties des plages du nord-est. Cependant, beaucoup de personnes ne savent même pas qu’elles sont des victimes. »
Le Rapporteur rappelle que l’information concernant les substances dangereuses est un droit humain, en particulier pour les personnes victimes à qui on bloque l’accès aux études et rapports, comme ça a été le cas dans le désastre de Mariana, par exemple.
Cercle vicieux
Baskut Tuncak s’inquiète particulièrement de « la tendance à ignorer les profondes répercussions de l’expansion économique sur les droits des peuples autochtones qui dépendent de l’environnement et de la biodiversité. »
Il se montre aussi vivement préoccupé par la situation des défenseurs de l’environnement au Brésil, « classé comme le pays le plus meurtrier » pour eux. « Les communautés touchées sont prises dans un cercle vicieux : soit elles risquent la mort en raison de leur exposition à la pollution toxique, soit elles risquent la mort pour avoir défendu leur droit à un environnement sain. Je prends note des affirmations selon lesquelles le nombre de décès de défenseurs des droits de l’homme a diminué. Cependant, je ne suis pas convaincu que cela soit vrai et il est très préoccupant de constater que les attaques, les intimidations et les menaces ont augmenté. », déclare le Rapporteur spécial.
Gouvernement coupable
La prise de position du Rapporteur spécial met clairement en lumière la responsabilité du gouvernement dans la situation catastrophique du pays: « Il existe au Brésil une tendance très préoccupante due au démantèlement systématique des structures de gouvernance environnementale, sociale, sanitaire et du travail au cours de l’année écoulée. Des ministères clés ont disparu, leurs responsabilités étant transférées à des autorités ayant des objectifs contradictoires. Les conseils pertinents ont été éliminés, tandis que d’autres ont été maintenus, mais seulement après avoir éliminé les postes destinés à la participation de la société civile. Les programmes visant à promouvoir des solutions de rechange à l’agriculture à forte intensité de produits chimiques ont été éliminés. Les budgets ont été réduits, gelés ou rendus inaccessibles pour les fonctions essentielles visant à protéger la santé et l’environnement des communautés. Des lois ont été proposées pour étendre l’extraction des ressources naturelles sur les terres des peuples autochtones. Des promesses de protection de l’environnement et de la santé au travail ont été mises en veilleuse et le rôle des inspecteurs du travail a été réduit. Tout cela est assez choquant après une catastrophe telle que celle qui s’est produite à Brumadinho au début de l’année. »
Pente raide de régression
« Bien que des progrès aient été réalisés dans le monde entier, il est inéluctable que le Brésil se trouve actuellement sur une pente raide de régression, se dirigeant vers un avenir de plus en plus toxique. » Le Rapporteur spécial Baskut Tuncak conclut son compte rendu – où il se montre vivement alarmé – par des mots forts et sans équivoque : « Mon cœur est lourd en regard de la gravité de la situation actuelle au Brésil ».
Le rapport détaillé sur sa mission au Brésil sera publié en septembre 2020.
Pour le CETIM, l′exemple du Brésil démontre une fois de plus la nécessité d’adopter un Traité contraignant sur les Sociétés transnationales à l′échelle internationale pour prévenir, et le cas échéant, sanctionner les violations commises par ces entités et leurs conséquences dramatiques sur les populations et l′environnement.