Chili : droits du peuple Mapuche

06/09/2017

CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME
36e session
11-29 septembre 2017

 

Point 3 de l’ordre du jour :Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement.

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Les droits du peuple mapuche au Chili : entre violations, non reconnaissance et refus de l’altérité [2]

 

À l’occasion du 10ème anniversaire de l’adoption de Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le CETIM souhaiterait, par la présente déclaration écrite et dans un dialogue constructif avec l’État chilien, rappeler les engagements qui ont été pris envers les peuples autochtones au regard de la situation très difficile vécue actuellement par le peuple mapuche.

I. La reconnaissance constitutionnelle du peuple mapuche et des peuples autochtones

La situation actuelle que doit vivre le peuple mapuche est le résultat d’une longue histoire de marginalisation, discrimination et exclusion (voir le rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones, M. Rodolfo Stavenhagen, présenté en application de la résolution 2003/56 de la Commission des droits de l’homme – mission au Chili, E/CN.4/2004/80/Add.3, § 8). Entre 1862 et 1885, les États du Chili et de l’Argentine ont annexé par la force le territoire mapuche, bien que l’indépendance du peuple mapuche et la délimitation de son territoire avaient été reconnus par la Couronne d’Espagne dans le traité de Quillen du 6 Janvier 1641, ainsi que dans de nombreux traités postérieurs. Suite à l’élection du président Salvador Allende en 1970, des réformes ont été entreprises et le processus de réforme agraire a été accéléré, ce qui incluait la restitution des terres des communautés autochtones. Suite au coup d’État dirigé par le général Augusto Pinochet le 11 septembre 1973, la dictature militaire mise en place a réduit à néant les réformes précitées et a privatisé les terres des peuples autochtones. De plus, les mouvements sociaux ont été férocement réprimés, y compris ceux représentant les populations autochtones et en particulier les Mapuches.

En décembre 1989, M. Patricio Aylwin Azocar, candidat à la Présidence, a signé l’engagement formel de tout mettre en œuvre, afin que les peuples autochtones voient leur statut reconnu et protégé par la Constitution chilienne, tout comme leurs droits fondamentaux économiques, sociaux et culturels. En contrepartie, les peuples autochtones signataires de l’accord se sont engagés à appuyer et défendre le futur gouvernement de la Concertation des partis pour la démocratie, présidée par M. Patricio Aylwin Azocar, et sa gestion en faveur de la restauration de la démocratie au Chili.

Depuis lors, plus de 27 ans ont passé et la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones n’est toujours pas réalisée.

Au contraire, le degré de violence et les violations de droits humains exercés à l’encontre des communautés mapuches n’ont fait que s’intensifier au cours du temps, sans épargner ni femmes ni enfants. Depuis l’annexion de leur territoire, les communautés mapuches ont constamment lutté pour défendre leurs droits et récupérer leurs terres.

 

II. L’emploi de billes de plomb par les carabiniers à l’encontre de Mapuches hors d’état de résister

Suite aux informations que lui sont parvenues, le CETIM est particulièrement inquiet au sujet de la situation du jeune Brandon Hernández Huentecol. Agé de 17 ans à l’époque des faits, le 18 décembre 2016, lors d’un contrôle policier, ce mineur s’est retrouvé à terre, le visage contre le sol avec le pied d’un carabinier sur le dos, totalement immobilisé. Malgré ce fait, le carabinier a tiré sur le jeune Brandon Hernández Huentecol à bout touchant. Celui-ci a dû subir plusieurs interventions chirurgicales et s’est retrouvé avec un pronostic vital engagé suite au tir de fusil. A ce jour, il a encore des billes de plomb dans le corps. Les carabiniers ont constamment soutenus qu’il s’agissait d’un accident.

En janvier 2017, le département des droits humains du Collège médical du Chili a rendu un rapport intitulé « Rapport médical sur Brandon Hernández Huentecol dans le cadre du Protocole d’Istanbul », sur demande de l’Institut national des droits de l’homme chilien (ci-après : INDH). Il ressort de ce rapport que les lésions du jeune Brandon Hernández Huentecol revêtaient un caractère gravissime et qu’en règle générale en regard des dommages générés par l’arme utilisée, de la distance à laquelle il a été tiré, du site anatomique qui a reçu l’impact, des faits de cette amplitude et de cette violence ont pour issue le décès de la victime. L’INDH a également introduit une plainte contre le policier concerné.

Cependant, malgré le rapport du Collège médical et la plainte introduite par l’INDH, ainsi que celle de la famille, Me Manuela Royo, avocate de Brandon Hernández Huentecol, est arrivée à la conclusion ‒ en raison des lenteurs de la procédure nationale ‒ qu’une impunité de fait avait été mise en place en faveur du policier qui avait tiré sur son jeune client.

Une autre situation préoccupante a appelé l’attention du CETIM, celle de M. Waikilaf Cadin. Le samedi 28 janvier 2017, lorsque le susnommé, tenant un bâton à la main, se dirigeait vers le lieu de détention de sa mère Juana Calfunao, des carabiniers lui ont tiré dessus, à l’aide d’un fusil, par surprise, sans aucune sommation préalable et à quelques mètres de distance. Les carabiniers l’ont laissé couché par terre avec plus de 30 billes de plomb dans la jambe gauche. M. Waikilaf Cadin a réussi à atteindre, par ses propres moyens, la maison du chef d’une communauté (Lonko), qui se trouvait à environ cent mètres. Il a alors appelé une ambulance, qui est arrivée deux heures plus tard, escortée de cinq voitures de Carabiniers, parmi lesquelles se trouvait au moins une équipe du Groupe d’opérations spéciales des Carabiniers, lourdement armée. M. Waikilaf Cadin a été violemment arrêté et menotté par les carabiniers, sous prétexte qu’il aurait été pris en flagrant délit de tentative d’homicide. Il lui était reproché d’avoir attaqué les carabiniers avec une machette. Pendant sa détention, le chef régional de l’INDH, présent sur les lieux, a exigé que le personnel de santé examine M. Waikilaf Cadin, ce qui fut ignoré. M. Waikilaf Cadin a finalement été admis à l’hôpital et sa main gauche a été maintenue menottée à la civière sur laquelle il reposait. Sa détention a été levée le 28 janvier 2017 à 19h00 ; les menottes lui ont alors été retirées. A l’hôpital, M. Waikilaf Cadin est resté plus de 24 heures sur une civière roulante, dans les couloirs de la section des urgences, sans recevoir des soins médicaux appropriés et de qualité. Ce n’est que le dimanche 29 janvier 2017, autour de 17h30, que M. Waikilaf Cadin a été emmené dans une chambre de l’hôpital régional où il est resté jusqu’au 15 février 2017, période durant laquelle il n’a reçu qu’un traitement d’antibiotiques et d’analgésiques.

Les faits susmentionnés ont fait l’objet de plaintes communiquées par les représentants du jeune Brandon Hernández Huentecol et ceux de M. Waikilaf Cadin à la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ainsi qu’au Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme s’agissant du deuxième cas. Ils sont actuellement en cours d’examen.

Les situations précitées ne sont pas des événements isolés. Compte tenu de la pratique relative à l’usage totalement disproportionné de la force existant au sein de la police chilienne, il est urgent que le Chili se dote d’un mécanisme de prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conformément aux engagements internationaux pris en la matière et aux demandes expresses de la société civile chilienne, notamment de la Commission éthique contre la Torture du Chili.

 

III. Le projet de loi sur l’Araucanie frappé d’un recours de protection auprès la Cour d’appel de Temuco et les critiques émises par les conseillers nationaux de la Société nationale de développement autochtone (CONADI), dans leur déclaration publique relative au processus de consultation portant sur la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones : ultimes tentatives de membres des communautés mapuches pour faire valoir leur droit d’être entendus et leur droit de participation aux décisions publiques les concernant

Au mois de juin dernier, plusieurs déclarations publiques de la part du gouvernement ont laissé entendre qu’un projet de loi sur l’Araucanie allait bientôt être déposé. Ce projet devait réglementer entre autres les conditions auxquelles les entreprises privées, travaillant exclusivement dans la région et qui s’installeraient dans les communautés les plus pauvres de l’Araucanie, pourraient bénéficier d’incitations économiques spéciales de la part de l’État. Se fiant à ces déclarations et face à la prétendue imminence de l’adoption du projet de loi précité, des membres des communautés mapuches ont déposé un recours de protection auprès de la Cour d’appel de Temuco contre des députés et des sénateurs du parlement chilien. Ce recours a été déclaré recevable quant à la forme.

Par ailleurs, par déclaration publique diffusée le 7 août 2017, les conseillers nationaux de la Société nationale de développement autochtone (CONADI) de l’État du Chili ont exprimé leur désaccord en ce qui concerne tant le contenu que la forme du début du processus de consultation relatif à la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones. Ils reprochent à l’État chilien d’avoir soumis à consultation des textes et des déclarations qui continuent de nier notamment le droit des peuples autochtones à être reconnus comme peuples ou comme nations, les droits territoriaux de ces derniers, ainsi que leur droit à l’autodétermination. En outre, ils sollicitent la création d’une instance claire, légitime et spécifique, pouvant effectivement garantir la mise en place d’un véritable dialogue entre le gouvernement et les peuples autochtones.

Il est extrêmement inquiétant de constater que des membres reconnus du peuple mapuche n’aient d’autre solution que d’introduire une action judiciaire ou de faire appel à l’opinion publique, afin de pouvoir exercer leur droit d’être entendus et leur droit de participer aux prises de décisions concernant leurs communautés. Une information complète, ainsi qu’une consultation effective de toutes les communautés mapuches concernées, devraient impérativement être assurés par l’État du Chili tout au long des processus concernant tant le projet de loi sur l’Araucanie que la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones.

Au vu de ce qui précède, le CETIM exhorte l’État du Chili à reconnaître constitutionnellement les peuples autochtones, ainsi que leurs droits sociaux, économiques et culturels, conformément aux promesses qui avaient été faites à la sortie de la dictature et dans le dessein d’une pleine application de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En outre, il demeure impératif que les agents de l’État chilien cessent immédiatement tout acte de torture et tout traitement cruel, inhumain et dégradant consistant à cribler de billes de plombs les membres des communautés mapuches. En particulier, il convient de veiller au respect du droit à l’intégrité physique, psychologique et morale des mineurs mapuches.

Enfin, le CETIM appelle l’État du Chili à se doter, dans les meilleurs délais, d’un mécanisme de prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi qu’à n’entreprendre aucune action publique concernant l’Araucanie sans concertation effective du peuple mapuche. L’État du Chili doit honorer les engagements internationaux qu’il a pris en matière de droits humains concernant le peuple mapuche.

 

[1] Exposé écrit publié tel quel, dans la/les langue(s) reçue(s) par l’/les organisation(s) non gouvernementale(s), sans avoir été revu par les services d’édition.

[2] Déclaration élaborée en collaboration avec Mmes Giselle Toledo Vera, juriste, et Ana Vera Vega, militante des droits humains.

Catégories Articles Chili Déclarations DROITS HUMAINS PAYS
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