Monsieur le Président,
Depuis plusieurs années déjà, le CETIM relève que l’endettement vertigineux que connaissent les pays du Sud nuisent au développement social et économique et aux conditions de vie des populations, en particulier celles des couches vulnérables. Afin d’alléger le fardeau de la dette et ses conséquences très préoccupantes quant à l’application et à la promotion des droits de l’homme, le CETIM tient à exprimer, une fois encore, quelques propositions:
a) Avant toute obligation de remboursement et avant toute fixation par le FMI de conditionnalités, procéder à des audits sur la légitimité des créances avancées, sur l’identité et les responsabilités des débiteurs et des créanciers et, subsidiairement, sur l’origine des capitaux prêtés.
b) Sur la base des éléments réunis et dans le cadre, par exemple, de la Cour de la Haye, constituer une Commission juridictionnelle, internationale et indépendante, qui serait chargée non seulement d’évaluer les parts de responsabilités des Etats, des banques et des entreprises pour les prêts accordés, mais aussi d’analyser l’origine des capitaux initialement prêtés, tout comme la direction prise par les capitaux disparus.
c) Geler les avoirs à l’étranger des dirigeants des pays endettés, qui selon certaines études, représenteraient un tiers, voire deux tiers du total de leur dette extérieure. En parallèle, enquêter sur les libéralités et les cadeaux fiscaux qui ont permis aux banques occidentales de provisionner leurs pertes.
A partir de ces trois propositions, la communauté internationale pourrait constater quelle est la part de la dette légitime et pour sa part publique, l’annuler. Rappelons : d’une part, que le Sommet mondial pour le développement social a relevé dans son Programme d’action, adopté le 12 mars 1995, que pour créer un climat économique favorable à l’échelle nationale et internationale, des mesures doivent être impérativement prises pour que, notamment, les avantages de la croissance économique mondiale soient répartis, de manière équitable entre les pays; d’autre part, que pour se faire, le Programme d’action a relevé la nécessité d’alléger les fardeaux de la dette et du service de la dette; et que de surcroît à son chapitre V, paragraphe 90, six propositions sont avancées, adressées autant à la communauté internationale qu’aux institutions financières internationales, afin qu’une réduction importante de l’endettement des pays en développement soit entreprise.
Le rapport annuel du PNUD de 1994, soulève aussi que l’endettement est un frein puissant à la croissance économique et à l’investissement dans le développement humain des pays du Sud. Trois propositions sont relevées quant à de nouvelles sources de financement dont l’une retient tout particulièrement l’attention du CETIM; il s’agit de l’instauration d’une taxe sur les transactions internationales en devises proposées par M. James Tobin, Prix Nobel d’Economie en 1981. Cet économiste part de la constatation qu’un nombre astronomique de dollars, évalué aujourd’hui à quelque 1’500 milliards se déplacent chaque jour internationalement d’un marché financier à l’autre. Seule une partie minuscule de cette somme est constituée par des investissements productifs ou par des paiements commerciaux, alors que l’essentiel de la somme est formée de capitaux spéculatifs qui font un aller retour rapide entre deux monnaies. L’imposition d’une taxe constituerait un moyen de limiter ces échanges spéculatifs d’où la proposition de M. James Tobin qui propose de prélever dans le monde entier un impôt de 0,5% sur ces opérations, quitte à exhonérer certaines d’entre elles dont l’utilité économique serait incontournable. Les recettes potentielles seraient considérables, à savoir près de 2’300 milliards de dollars par an, presqu’autant que l’ensemble de la dette des pays du Sud. Selon le CETIM, il serait judicieux que les Nations Unies se penchent sur cette proposition et que des experts compétents analysent avec sérieux la faisabilité de la proposition de M. James Tobin.
Monsieur le Président,
Dans les années 70, les dettes des pays du Sud passèrent de moins de 100 milliards à plus de 600 milliards de dollars, les prêts étant essentiellement destinés à promouvoir l’économie de marché encouragée par les pays occidentaux. Les emprunts ne paraissaient guère dangereux puisque les taux d’intérêt nominaux se situaient entre 5% et 10%. Mais la situation changea brusquement dans les années 80 lorsque les Etats-Unis, pour combattre l’inflation et prévenir une dévaluation catastrophique du dollar, portèrent leurs taux d’intérêt supérieurs à 15%. Afin prétendument de soulager l’endettement des pays du Sud, les institutions financières internationales créèrent les programmes d’ajustement structurel (PAS), considéré comme le principal support de promotion du modèle de développement néo-libéral dans les pays endettés du Sud. Depuis plusieurs années déjà, le CETIM dénonce la mise en oeuvre de ces programmes, imposés et non adaptés aux situations nationales spécifiques de chaque pays en développement. Relevons que l’application des PAS exige des politiques déflationnistes et des coupes sombres dans les services d’aide sociale, ce qui a notablement aggravé le sort des couches vulnérables des populations du Sud. Le CETIM a exposé ces graves conséquences dans le cadre de son intervention E/CN.4/1995/ NGO/32. A la fin des années 80, constatant l’échec de la majorité des PAS, les institutions financières internationales, suite à de nombreuses pressions, ont commencé à tenir davantage compte des questions sociales et institutionnelles; cependant, bien que quelques filets de sécurité sociale aient été introduits dans certains programmes afin de protéger les catégories sociales touchées, ceux-ci n’enrayent nullement les réelles entraves à l’application et à la promotion des droits fondamentaux de tout individu. Dans ce sens, le CETIM a tout particulièrement apprécié le rapport du Secrétaire général sur l’ensemble préliminaire de principes directeurs de base sur les programmes d’ajustement structurel sur les droits économiques, sociaux et culturels (E/CN.4/Sub.2/1995/10). Le Programme d’action de Copenhague relève également que des mesures doivent être prises par les gouvernements, agissant en coopération avec les institutions financières internationales, pour que les PAS tiennent compte des objectifs du développement social, en particulier l’élimination de la pauvreté, la création d’emplois productifs et le renforcement de l’intégration sociale (Chapitre V, points 91 et 92). Au vu de ce qui précède, le CETIM encourage vivement les membres de cette Commission d’examiner avec grande attention les ravages que produit la mise en oeuvre des programmes d’ajustement structurel et qu’elle invite les Rapporteurs spéciaux concernés à inclure dans leur étude des informations sur les conséquences de la mise en oeuvre de ces programmes.
Monsieur le Président,
Il y a dix ans, le 4 décembre 1986, l’Assemblée générale adoptait dans sa résolution 41/128, la Déclaration sur le droit au développement. L’heure est venue de dresser un bilan; il y a déjà 25 ans, le CETIM affirmait qu’il n’y a pas “un monde développé et un monde sous-développé mais un seul monde maldéveloppé”, ouvrant ainsi le débat sur l’a priori positif attribué au développement occidental. Force est regrettablement de constater que l’histoire lui donne raison. En effet, ce maldéveloppement, dont les dimensions sont tout autant économiques que sociales, ne se confine pas uniquement au pays du Sud. II s’étend à la société mondiale tout entière: l’endettement vertigineux et le marasme socio-économique que connaissent de nombreux pays en développement, les écarts de plus en plus criants entre les conditions de vie et de consommation des riches et des pauvres d’un bout à l’autre du globe, confirment l’actualité de la désignation d’un seul et unique maldéveloppement.
Réaffirmant que tous les droits de l’homme sont universels, indivisibles, interdépendants et étroitement liés, le Programme d’action du Sommet mondial pour le développement social, a pris en considération la question sur le droit au développement, et en particulier sur l’impératif d’assurer la participation des acteurs sociaux au processus de développement économique, social, culturel et politique. En effet, la participation populaire demeure le pilier central de toute garantie de l’application de la Déclaration sur le droit au développement. Dans ce sens, le CETIM demande à la communauté internationale et en particulier aux gouvernements, que les acteurs sociaux participent à l’identification, l’élaboration, l’exécution, la gestion et l’évaluation de tout programme visant à promouvoir l’ensemble des droits que couvrent celui du droit au développement. Cet appel est également exprimé dans le Chapitre I, aux points 14 h), 15 c) et j), 24, 26 c), 28 a) et e) ainsi que dans le Chapitre V, aux points 82, 85 et 86 du Programme d’action. Renforcer la participation populaire, soit associer les acteurs sociaux dans le processus de développement, est autant impératif sur le plan régional qu’international. Par conséquent le CETIM encourage le Comité des droits économiques, sociaux et culturels à adopter un Protocole facultatif se rapportant au Pacte y relatif afin que les acteurs sociaux, notamment représentés par les ONG, puissent présenter des communications ou des plaintes; cet instrument contribuera ainsi à mieux identifier et analyser les besoins et les problèmes des personnes directement concernées, évoluant sur le terrain.
Bien que la Déclaration sur le droit au développement ait été adoptée il y a dix ans, la réalisation et l’application, saines et fructueuses, de ce droit fondamental, reste lettre morte. Depuis dix ans le fossé entre les nantis et les déshérités s’est de plus en plus creusé, ce qui a amené l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 48/183 à déclarer 1996, Année internationale pour l’élimination de la pauvreté. Dans le cadre de ses travaux, le Comité sur le droit au développement a notamment identifié plusieurs obstacles entravant l’application de ce droit, lesquels devraient interpeller les membres de cette Commission, tant ils sont lourds de conséquences. Le CETIM souhaite que des Consultations régionales, à compositions non limitées, soient organisées dans le cadre des travaux des Commissions économiques régionales et que les conclusions soient traitées dans le cadre d’une Consultation internationale comme celle qui s’est tenue en 1990. Par ailleurs un Groupe de travail, avec la participation d’experts de la CNUCED, du PNUD, de l’UNRISD et tout autre organe concerné des Nations Unies, devrait être créé afin qu’en l’an 2000, comme le précise le paragraphe 36 du Chapitre II du Programme d’action de Copenhague, les gouvernements puissent remplir les engagements qu’ils ont pris et qu’un bilan moins sombre de la situation internationale puisse être dressé.
Monsieur le Président,
Dans le cadre de cette intervention, le CETIM s’est référé à plusieurs reprises à la Déclaration et au Programme d’action de Copenhague, la première exposant 10 engagements que les gouvernements ont adoptés, la seconde précisant les mesures à prendre pour tendre vers leur réalisation. Parmi ces mesures, nombreuses sont celles qui paraissent antinomiques aux politiques et aux contraintes imposées par les institutions financières et commerciales internationales. En effet, les politiques de ces dernières préconisent une économie de marché basée sur la compétitivité, la concurrence et la déréglementation, dont les règles sont incompatibles avec les normes définies dans le droit international établi par les Nations Unies. Ainsi, les droits fondamentaux des peuples et la souveraineté des Nations se voient menacés par l’imposition de règles décrétées par les institutions financières et commerciales internationales, avec pour résultat pratique, la détérioration préoccupante des conditions de vie et de travail des couches vulnérables. A ce propos le CETIM tient à rappeler les termes de l’article 3 de la Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social, adoptée le 11 décembre 1969: l’indépendance nationale fondée sur le droit des peuples à l’autodétermination, le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats, la souveraineté permanente de chaque nation sur ses richesses et ressources naturelles sont considérées comme des conditions primordiales du progrès et du développement dans le domaine social. Au vu de ces considérations et des politiques pratiquées par les institutions financières et commerciales internationales, le CETIM, à titre de conclusion, se pose la question suivante: comment la communauté internationale et les gouvernements en particulier, peuvent-ils s’engager à promouvoir la construction de sociétés mieux équilibrées entre elles et respectueuses des contextes historiques, économiques, sociaux et culturels, comme ce fut le cas à Copenhague, alors qu’ils connaissent les données des décideurs mondiaux actuels et qu’ils savent par conséquent qu’ils ne disposeront pas de moyens adéquats et efficaces pour parvenir aux objectifs qu’ils se sont fixés ?