Le CETIM accorde une importance toute particulière aux relations Nord-Sud, à leurs évolutions sur le plan autant politique, économique que social. D’une part, il constate que la détérioration de la situation économique, ainsi que la tendance à la mondialisation et à l’interdépendance ont aggravé les difficultés pour les pays en développement et pour les pays connaissant une économie de transition, à atteindre leurs objectifs de développement socio-économique, de progrès et de justice sociale. D’autre part, il observe que de manière globale, les politiques économiques actuelles, en se référant particulièrement aux politiques d’ajustement structurel en vigueur dans les pays en développement, tendent à créer ou à maintenir des déséquilibres sociaux, facteur de tensions et de violence incontestable. Cette réalité a des conséquences préoccupantes sur l’augmentation des violations des droits de l’homme; en effet il est à relever que ces dernières ne cessent de croître dans les pays les plus faibles du point de vue économique.
Ces constatations préliminaires visent à démontrer la nécessité de la mise en oeuvre d’une politique globale cohérente, en tenant compte que la promotion des droits de l’homme est indissociable d’un certain développement économique et social. Pour se faire, il est impératif que l’ordre économique et social à construire repose sur un ensemble de postulats acceptés par tous, nuancés toutefois par les particularités régionales.
Dette extérieure: légitimité et co-responsabilité
Se référant aux recommandations du Secrétaire Général exprimées dans son rapport E/CN.4/1993/16, le CETIM appuie la proposition de recommander à la Commission de “demander au Fonds monétaire international et à la Banque Mondiale de revoir et d’exécuter leur mandat initial. Si le FMI réglait de manière équitable la question du déséquilibre de la balance des paiements, la charge de l’ajustement n’incomberait pas seulement aux pays déficitaires mais serait partagée de manière raisonnable entre les pays exédentaires et les pays déficitaires. Si la Banque mondiale s’attaquait sérieusement à sa tâche initiale qui consiste à recycler les exédents mondiaux des pays riches au profit des pays déficitaires, les pays pauvres ne seraient plus obligées d’emprunter sur les marchés financiers privés.”
C’est pourquoi, si l’objectif initial et proclamé du FMI est réellement de réduire la dette externe des pays du Sud endettés, et ce par l’entremise du recyclage des exédents mondiaux, le FMI a totalement échoué: dans un de ses derniers rapports, la Banque Mondiale, qui, il est vrai, tient compte, pour la première fois de la dette de l’ex-URSS, mentionne que la dette cumulée des pays en développement a encore augmenté de 1’703 milliards de dollars à fin 1992…
De fait, le FMI n’est, ni service international, ni arbitre, mais bien avocat d’une partie, celle des créanciers. Le FMI agit comme un office de poursuites, mais un office d’un type tout à fait particulier.
S’il était question de droit privé, l’entreprise débitrice serait déclarée en faillite. On liquiderait ses biens, mais l’office des poursuites ne s’engagerait pas à ce que les créanciers soient entièrement remboursés. Ces derniers n’auraient plus qu’à enregister leurs pertes et l’affaire serait close.
Or, un pays ne peut se déclarer en faillite. Les pays qui s’y sont risqués se sont vus menacés des pires sanctions, le FMI orchestrant l’offensive. Ainsi le rôle réel du FMI n’est donc pas d’aider ces pays à réduire leur dette, ni de mettre un terme à leur situation d’instance de faillite. Il est en revanche de les mettre sous tutelle, en transformant des créances irrécouvables en l’obligation de payer, à perpétuité, le service de cette dette.
Face à cette aggravation constante de la situation, le CETIM partage le point de vue de plusieurs ONG, à savoir: ANNULER LA DETTE. Des études du PNUD montrent que pour les 4/5, la détérioration constante de la balance des paiements des pays en développement tient fondamentalement aux termes d’échanges inégaux, lesquels régissent le commerce international. A moins de changements radicaux de ces termes, et des rapports Nord/sud, il est totalement illusoire de penser que la dette des pays économiquement pauvres pourra être épongée d’une autre manière, ou même simplement réduite.
Quand on sait le poids que la dette fait peser sur les populations du Sud, il est certain que l’on ne peut que recommander d’annuler celle-ci; mais il faut également se questionner sur QUI VA LA PAYER, qui va faire les frais de cette annulation. Or, pour aborder ce problème, il faut commencer pas poser la question de la LEGITIMITE; légitimité non pas en soi de la dette globale, mais légitimité de chacune des créances qui la composent. Examiner la légitimité d’une créance, c’est ainsi poser simultanément le problème de la CO-RESPONSABILITE, dans le langage des économistes, du PARTAGE DU RISQUE.
A notre connaissance, ce sont des questions que le FMI et la Banque Mondiale, ne se sont jamais posées véritablement. Nous nous limiterons à en évoquer quelques unes:
Combien de créances frauduleuses? Combien de dettes, résultats de contrats qui, en droit civil, pourraient être dénoncés pour dol? Combien de projets, montés de toutes pièces, d’usines clefs en main qui n’ont jamais et n’auraient pu fonctionné? Combien de détournements de fonds et de pots de vin? Combien de Duvalier ou de Marcos dans le monde? Enfin, pourquoi ce problème de la légitimité des créances n’est-il jamais abordé, alors qu’un ensemble de conditionnalités, très subtiles, sont posées à l’occasion des prêts du FMI?
Beaucoup de questions restées jusqu’ici sans réponse, malgré toute l’énergie que le FMI et la Banque Mondiale consacrent à la dette.
Au vu de ce qui précède, le CETIM souhaite faire quelques propositions pour alléger le fardeau de la dette et ses conséquences dramatiques quant à l’application et à la promotion des droits de l’homme:
1. Avant toute obligation de remboursement et avant toute fixation par le FMI de “conditionnalités”, procéder à des audits sur la légitimité des créances avancées, sur l’identité et les responsabilités des débiteurs et des créanciers et, subsidiairement, sur l’origine des capitaux prêtés. Ces audits pourraient être effectuées par des organismes indépendants, tels, par exemple, des Commissions de l’ONU pour l’Afrique, pour l’Amérique latine et pour l’Asie.
2. Sur la base des éléments réunis et dans le cadre, par exemple, du Tribunal de la Haye, constituer une Commission juridictionnelle, internationale et indépendante, chargée d’évaluer:
a) les parts de responsabilités des Etats, des banques, des entreprises pour les prêts accordés
b) l’origine des capitaux initialement prêtés tout comme la direction prise par les capitaux disparus
La corruption va dans les deux sens. La moralisation de l’économie serait ainsi mise à l’ordre du jour.
3. Geler les avoirs à l’étranger des dirigeants des pays endettés (d’un tiers, voire deux tiers du total de la dette selon certaines études). A eux-mêmes de faire valoir la légitimité de leur enrichissement.
4. Enquêter sur les libéralités et les cadeaux fiscaux qui ont permis aux banques occidentales de provisionner leurs pertes. Il est moral que les contribuables connaissent les véritables actions des acteurs économiques.
Sur cette base, on pourrait dresser la portion de la dette “légitime” et, pour sa part publique, l’annuler. Quant aux créanciers privés, en particulier les grandes banques et, de plus en plus, les entreprises privées, lesquelles ont accordé des prêts ou des crédits à la légère, vantant tellement les lois du marché, il est temps qu’elles admettent, en toute logique, le partage des risques. Et si le débiteur est insolvable, ce partage des risques implique qu’elles passent le solde par pertes et profits!