Madame la Présidente,
Quand on parle de la mondialisation, on entend par-là la mondialisation néolibérale qui est en cours depuis une vingtaine d’années.
La « mondialisation » actuelle est définie par ses partisans comme « un processus accéléré d’intégration et d’interdépendance des économies au niveau mondial, entraînant une internationalisation de plus en plus poussée des marchés des services et des marchés des capitaux1 ».
Or, on peut affirmer avec les experts de la Sous-Commission que « la mondialisation n’est pas un événement naturel ou un processus irrémédiable et irréversible. Elle est le fruit de certaines idéologies, intérêts et institutions et son existence dépend bel et bien des structures mises en place par la communauté internationale2 ».
En réalité, le néolibéralisme repose en particulier sur un mensonge, ou une fausse évidence, qui à force d’être quotidiennement asséné par les élites économiques et dans les médias, paraît indiscutable et consiste à déclarer que : « la démocratie et le marché vont de pair et se renforcent mutuellement ». Rien n’est pourtant plus faux et trompeur.
Comme nous l’avons déjà affirmé en d’autres occasions, si l’on entend par démocratie un libre choix discuté et décidé d’un projet d’avenir collectif par des êtres humains égaux en droit, l’imposition unilatérale des règles du marché aux individus et aux peuples est au contraire antinomique avec une démocratie réelle et partagée. Le marché tel qu’il est défini par les libéraux contemporains, où des « partenaires libres et égaux » se présenteraient dans un espace dérégulé, est une pure fiction comme la croyance faisant de cette liberté de marché une des conditions d’existence des autres libertés. En réalité, le « marché » ne fonctionne justement que parce qu’il est régulé suivant des rapports de force et de pouvoir où le plus fort gagne. La question est alors de savoir par qui et au bénéfice de qui le marché est régulé. Aujourd’hui, il est contrôlé, de façon occulte et unilatérale, par l’hégémonie pesante de quelques centaines d’oligopoles dont la rationalité froide n’a pour seul objectif que la défense de leurs intérêts particuliers à court terme et se situe bien loin des soucis d’équité, de représentativité et de solidarité auxquels renvoie la notion de démocratie.
On peut affirmer d’emblée aujourd’hui que les institutions de Bretton Woods et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sont les deux instruments clés du système économique néolibérale. Elles imposent une politique destructrice au monde entier, qui ne se limite pas au domaine économique, car la marchandisation touche tous les aspects de la vie.
Cette mondialisation marchande a des conséquences désastreuses : malnutrition touchant 800 millions de personnes dans le monde, maladies, pollution, dégradation des systèmes scolaires, de santé, chômage de masse, augmentation des travaux précaires, destructuration des sociétés notamment par le déplacement forcé des populations, exode rural et conflits armés, généralisation de la corruption (tant au Sud qu’au Nord), prolifération des mafias, etc.
Par les privatisations imposées par ce triumvirat (BM, FMI et OMC), le poid des Sociétés transnationales devient de plus en plus prépondérant. A titre d’exemple, le chiffre d’affaires des plus grandes STN est équivalent ou supérieur au PIB de nombreux pays et celui d’une demi-douzaine d’entre elles est supérieur aux PIB des 100 pays les plus pauvres réunis3.
Les méthodes de travail et activités des STN sont déterminées par un objectif fondamental : l’obtention d’un profit maximum en un minimum de temps. Cet objectif fondamental n’admet aucun obstacle et, pour l’atteindre, les STN, surtout les plus grandes, n’excluent aucun moyen. Elles sont impliquées par exemple dans : la promotion de guerres d’agression et de conflits interethniques pour contrôler les ressources naturelles de la planète et pour favoriser l’expansion et les bénéfices de l’industrie militaire ; la violation des droits du travail et des droits humains en général ; l’appropriation des connaissance ancestrales, techniques et scientifiques qui sont par nature sociale ; la corruption de fonctionnaires pour s’emparer de services publics essentiels par le biais de privatisations frauduleuses et préjudiciables aux droits des usagers, etc.
Force est de constater que depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis, se basant sur une politique sécuritaire et un climat de peur, font pression sur les autres Etats afin d’obtenir une ouverture plus grande des marchés pour leurs entreprises4. Leurs alliés occidentaux les appuient en augmentant leurs pressions sur les autres Etats pour conclure des nouvelles négociations au sein de l’OMC en vue du Sommet de Cancún. Le plus inquiétant est peut-être la résurrection du défunt Accord multilatéral sur les investissements (AMI)5, comme signale les auteurs du rapport sur la mondialisation6.
Les politiques néolibérales génèrent des inégalités et rendent impossible la jouissance du droit à l’éducation, à la santé, à la sécurité sociale, à la culture, etc. dans la mesure où ces domaines sont soumis à une marchandisation croissante et systématique. De ce fait, les promoteurs de ces politiques néolibérales contreviennent à la Charte de l’ONU, au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et violent les droits économiques, sociaux et culturels.
En effet, dans le système économique actuel, il apparaît de plus en plus difficile, voire impossible, pour la plupart des Etats d’honorer leurs engagements. Ceci étant dit, il serait erroné d’affranchir les Etats de leurs responsabilités.
S’agissant de la proposition des auteurs du rapport sur la mondialisation consistant à l’élaboration des obligations des principaux acteurs de la mondialisation en matière de droits de l’homme, elle paraît intéressante. Toutefois, ce projet mérite plus ample réflexion et il devrait englober dans tous les cas les points suivants :
1) réaffirmer l’obligation juridique incombant aux organisations internationales telles que l’OMC, la Banque mondiale et le FMI ;
2) réaffirmer la primauté des droits de l’homme sur tout accord commercial international ;
3) réaffirmer que les règles régissant les relations entre les États ne peuvent être formulées de manière à porter atteinte aux principes fondamentaux du droit international, y compris les normes relatives aux droits de l’homme ;
4) réaffirmer que le processus de développement a pour pivot la réalisation du développement humain durable.
Madame la Présidente,
Je vous remercie de votre attention.