Monsieur le Président,
Combien de pays échappent-ils aujourd’hui aux questions brûlantes posées par les flux migratoires ? La grande mobilité des populations interrogent, le Centre Europe Tiers – Monde en est certain, la politique de très nombreux pays – qu’ils soient pays d’immigration ou pays d’émigration. L’OCDE rapporte qu’en 1993 le nombre de personnes ayant quitté leur pays a doublé par rapport à 1990. Parmi elles se trouvent de très nombreux réfugiés en quête d’une terre d’asile et des migrants économiques en quête de travail, de pain et d’espoir de liberté. Le débat politique concernant cette thématique n’a pas d’autres issues qu’une prétendue nécessité de contrôler les hommes et les femmes en migration. En Europe, par exemple, la mobilité des populations est considérée comme un phénomène à endiguer avant d’être un symptôme du maldéveloppement mondial.
Dans de nombreux pays, on assiste régulièrement à l’adoption et l’application de lois nouvelles visant à restreindre la mobilité des populations ou à y mettre fin. Le Centre Europe-Tiers Monde s’interroge très sérieusement sur cette façon de considérer les migrations et sur ce mode de traitement. Les migrations ne sont-elles pas plutôt les conséquences des inégalités économiques entre pays, du maldéveloppement durable et des pouvoirs politiques qui émergent dans de telles terrains ? Ne faudrait-il pas plutôt résoudre les questions en amont des flux migratoires plutôt que d’avoir de mauvaises réponses, causes de ségrégations multiples. Les politiques actuelles nourrissent le rejet, la xénophobie, le racisme et les conflits qu’on appelle souvent trop rapidement des conflits ethniques.
La vie quotidienne est catastrophique pour la population d’une grande partie des pays de la planète et du Sud principalement: les besoins essentiels ne sont pas couverts pour plus d’un milliard de personnes, les chômeurs et les jeunes sans avenir se comptent par dizaines de millions. La croissance démographique, qui est autant la cause que la conséquence de la pauvreté, accentue cette situation. A court et moyen terme, cette conjoncture conduit inéluctablement à un renforcement de l’émigration qui est perçu comme la seule réponse possible à ces conditions insupportables.
L’adhésion forcée et quasi planétaire aux postulats de l’économie néo-libérale, la mondialisation et la déréglementation qui s’y rattache ne vont pas modifier, bien au contraire, la nécessité de partir, de chercher de quoi survivre ailleurs. Si le politique abandonne toute vision de l’homme, toute perspective sur le sens des rapports de l’homme à la nature et à l’économie, sur le sens des liens d’interdépendance et de solidarité entre communautés et entre Etats pour laisser caracoler l’idéologie néolibérale et ses conséquences, il est évident que les populations vont continuer à devoir migrer et ce ne sont pas les mesures policières qui les arrêteront.
C’est vrai qu’il est plus facile d’expulser quelques milliers de travailleurs migrants et leurs familles que de revoir le sens d’une politique. C’est vrai qu’il est plus facile de faire porter le poids du dérèglement économique à des hommes et des femmes pris dans leur individualité que de s’opposer fermement à une politique de destruction de l’homme. C’est vrai qu’il est plus simple de sacrifier des hommes et des femmes en les forçant à l’exil migratoire que de modifier les rapports économiques.
La migration n’est jamais une solution de facilité. Faut-il le rappeler ? Elle demande de prendre de très gros risques pour les individus qui s’y lancent. Les travailleurs migrants eux-mêmes le savent bien qui laissent souvent dans ce changement leur vie familiale, leurs enfants qui grandissent sans eux, et parfois même leur santé psychique et physique et leur vie. La migration n’a presque jamais lieu sans raison grave. Derrière les dispositions légales qui contrôlent drastiquement l’entrée dans des pays européens par exemple, on oublie vite l’aspect humain de la migration. Vous conviendrez, qu’une commission comme celle ci, qui s’attache à la défense des droits de l’homme, est là aussi pour rappeler cette dimension.
Le CETIM pose ici la question de la responsabilité conjointe des Etats dans la question des migrations. Peut-on imaginer mettre autant d’argent, de volonté et de ferveur à promouvoir une politique de rééquilibrage entre le Nord et le Sud qu’il en est mis pour fermer le plus hermétiquement possible la forteresse européenne, par exemple. Cette fermeture est pourtant toute sélective. D’où qu’ils viennent, les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes droits. C’est l’inclusion pour les uns et l’exclusion pour les autres. Cette disparité de traitement ne fait qu’augmenter les divisions dans des populations extrêmement vulnérables. L’idéologie sécuritaire augmente le nombre des clandestins, des hommes et des femmes complètement privés de droits.
Ce tri de migrants, comme le décrit par exemple le modèle suisse des trois cercles, est-il en accord avec les conventions internationales contre les discriminations et avec la charte des droits de l’homme ? Nous en doutons fortement. Dans ce domaine, les législations nationales sont souvent en contradiction avec les normes adoptées au niveau international.
Les flux migratoires dus à la démographie, à la pauvreté et à l’instabilité politique sont des indicateurs de l’échec des politiques de développement préconisées par les Etats et par les grandes agences de développement jusqu’ici. Seule, la réappropriation du politique par les gouvernements, qui s’honoreraient de respecter les notions de justice et de solidarité, pourrait modifier – s’il en est encore temps – le cours de l’histoire contemporaine, le cours des flux migratoires.