Madame la Présidente,
Au plan des principes, tout le monde convient que la protection des droits de l’homme doit primer sur toute autre considération d’ordre privé ou économique. Ainsi, nul ne saurait invoquer la « liberté de commerce », le « libre jeu de la concurrence », les « lois du marché » pour violer les droits fondamentaux reconnus aux êtres humains, notamment le droit à la vie.
Cependant, en pratique, l’application de ce principe est à géométrie variable et même parfaitement contradictoire. Prenons deux domaines, tous deux concernant l’agriculture et en particulier les droits des paysans : d’une part, la culture de la coca ou du pavot et, d’autre part, celle des aliments de base.
S’agissant de la drogue, ce principe est appliqué avec la plus grande fermeté. Aucun gouvernement ne se risquerait à déclarer que la liberté de commerce prime sur la préservation de la santé publique et la protection de la personne humaine. Aucun Etat, aucun organisme international ne prône ici le moindre « libéralisme ». Nul n’oserait suggérer seulement de simples restrictions ou limitations à la « libre entreprise ». Tout au contraire : au nom de l’impératif social de « lutter contre le fléau de la drogue », les politiques les plus vigoureuses sont exigées ; c’est l’interdiction pure et simple de la culture du pavot et de la coca, de la commercialisation de leurs dérivés stupéfiants, autres que pour des fins strictement médicales, qui sont ordonnées ; c’est la répression la plus énergique qui s’abat sur les contrevenants.1
Prenons maintenant l’exemple de la production de l’alimentation de base des populations du monde, dont dépend la survie de communautés entières et, en dernière analyse, le sort de la moitié de la population de la planète. Toutes les études sérieuses montrent à l’évidence que les règles, imposées par l’OMC, de libre circulation des produits agricoles vont mettre sur la touche l’écrasante majorité des paysans du monde, les condamner littéralement à mort.2 Mais, malgré cela, rien n’est mis œuvre pour protéger leurs droits. Tout au contraire, toute la puissance des appareils d’Etat, de l’OMC et des grandes sociétés transnationales se conjuguent pour les nier massivement et brutalement.
Ainsi dans ce cas, paradoxalement, la simple idée d’imposer des restrictions et limitations au commerce international des produits alimentaires de base, pour préserver les marchés locaux, pour sauver des millions de paysans de la faillite, suscite des cris d’orfraies parmi les libéraux même les plus vertueux.
Est-ce cohérent, est-ce juste, est-ce tout simplement raisonnable, Madame la Présidente ?
Certainement non. Tout au contraire, force est de reconnaître qu’il faut retirer l’agriculture de l’OMC, qu’il faut adopter des mesures de protection des petits agriculteurs contre les prix de dumping de l’agro-business, contre les surplus agricoles bradés sur les marchés mondiaux, qu’il faut permettre à chaque peuple d’affirmer souverainement sa propre politique alimentaire et agricole, en tenant compte de sa situation, de ses besoins, de ses aspirations, de sa culture.
Ces mesures s’imposent de toute urgence si l’on veut préserver la planète de cataclysmes sociaux, et écologiques, voire de conflits majeurs.3
Madame la Présidente,
Tant les principes que la raison imposent de restaurer de toute urgence la souveraineté alimentaire des peuples : pour qu’ils puissent déterminer librement leur politique agricole, pour qu’ils puissent exercer librement leur droit au développement. Il faut mettre l’OMC hors de l’agriculture.
Madame la Présidente, je vous remercie de votre attention.