Grèce : austérité et dette imposée

02/09/2015

CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME
30ème session
Août 2015

L’AUSTÉRITÉ ET L’ENDETTEMENT IMPOSÉ À LA GRÈCE VIOLENT LES DROITS HUMAINS DU PEUPLE GREC ET LE DROIT INTERNATIONAL1

Depuis mai 2010, la Grèce est sous ajustement structurel2, pour obtenir des prêts du Fonds monétaire international (FMI), de quatorze États membres de la zone euro « représentés » par la Commission européenne et du Fonds européen de stabilité financière (remplacé aujourd’hui par le Mécanisme européen de stabilité). Elle doit mettre en œuvre les nombreuses mesures d’austérité et les privatisations massives listées dans les memoranda conclus avec les créanciers de la « Troïka » rebaptisée « Institutions » (composée de la Banque centrale européenne, du FMI et de la Commission européenne). L’effet de ces politiques est dramatique: en moins de cinq ans, le pays a perdu 25 % de son produit intérieur brut, le taux de chômage a triplé pour atteindre 27 % (60 % chez les jeunes), des millions de citoyens ont plongé dans la pauvreté et la dette publique est passée de 120% du PIB à 177 % en juin 2015. Soulignons que le FMI avait pourtant écrit dans un document confidentiel datant de mars 2010 (avant le premier memorandum) que les politiques d’austérité allaient inévitablement provoquer un désastre économique, social et une explosion de la dette3.

Malgré cet échec (prévisible) et la victoire éclatante du « Non » à l’austérité lors du référendum du 5 juillet 2015, les créanciers ont imposé au Premier ministre grec le 13 juillet dernier un accord léonin qui poursuit l’austérité et bafoue la souveraineté de l’État grec. Le principal moyen de pression des créanciers reste le même : le gouvernement grec doit se soumettre au diktat de ses créanciers pour obtenir les financement nécessaires au remboursement des dettes antérieures.

Anticipant le chantage de la dette, le 4 avril 2015, la Présidente du Parlement grec, Zoé Kostantopoulou a créé la « Commission pour la vérité sur la dette publique4 ». Composée d’une trentaine d’experts grecs et internationaux dont l’ancien Expert des Nations unies chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, Cephas Lumina, cette Commission coordonnée par le Dr Eric Toussaint (porte-parole du réseau CADTM) a reçu pour mandat d’analyser tout le processus d’endettement de la Grèce et de détecter les dettes qui peuvent être considérées comme illégales, odieuses, illégitimes et insoutenables. La Commission a remis son rapport préliminaire le 18 juin 2015, dont les conclusions sont claires : la dette réclamée en 2015 à la Grèce est totalement insoutenable et une grande partie de celle-ci est illégale, illégitime et odieuse.

Pour des raisons d’espace, nous nous limitons ici aux dettes contractées depuis 2010 dans le cadre des memoranda imposés par la Troïka. Elles représentent 85% de la totalité de la dette de la Grèce. Ces dettes résultent des prêts dit de « sauvetage » de 2010 et 2012 qui ont servi à en réalité à sauver une vingtaine de banques grecques et étrangères (en particulier françaises, allemandes et hollandaises) qui avaient spéculé sur la dette grecque. Le rapport de la Commission établit que plus de 80% des 240 milliards de ces prêts faits à la Grèce dans le cadre des deux memoranda 2010 et 2012 ne sont même jamais arrivés en Grèce mais sont repartis directement dans le remboursement de ces quelques grandes banques privées. Ces prêts illégitimes et odieux ont ainsi permis à ces banques de se mettre à l’abri de l’éclatement de la bulle de crédit privé qu’elles avaient créée (voir les chapitres 1 et 2 du rapport).

Ces prêts de la Troïka sont également illégaux car ils ont tous été conditionnés à des mesures d’austérité précises (les memoranda) qui violent directement le droit grec, européen et international. Le rapport établit, en effet, dans son chapitre 6 le lien direct entre les exigences des créanciers et les multiples violations de droits humains. Ces violations ne constituent pas des effets collatéraux de recommandations d’ordre général. Comme le démontre le rapport, elles sont le résultat prévisible et, dans certains cas, délibérément poursuivi par les créanciers avec la complicité des autorités grecques rendant ainsi la dette à la fois illégale, illégitime et odieuse. Afin de renforcer la démonstration, le rapport dresse la liste des droits humains fondamentaux (droit au travail, à la santé, à l’éducation, au logement, à la sécurité sociale, à l’autodétermination, à la justice, mais aussi les droits à la liberté d’expression et à la protection contre les discriminations) qui ont été directement bafoués par des mesures concrètes contenues dans les memoranda en précisant dans chacun de ces domaines l’impact de ces mesures ainsi que les différents instruments juridiques nationaux, européens et internationaux violés.

Parmi les textes violés, on trouve le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et la Charte de l’ONU. Or, tous les États créanciers sont parties au PIDESC et à la Charte. Le chapitre 7 du rapport rappelle que que les obligations prévues par le PIDESC s’imposent à tout État en dehors de son territoire national. Une telle approche a été confirmée par le Comité des Droits économiques, sociaux et culturels5. Tous les États doivent également empêcher tout acteur non étatique sur lequel ils ont une influence quelconque de mettre en péril la jouissance de ces droits. Ceci vaut notamment pour les États membres de la zone euro comme créanciers au sein des organisations comme les Institutions.

Quant au FMI en tant qu’organisation internationale, il est lié par toute obligation qui lui incombe en vertu des règles générales du droit international, de ses propres statuts et des conventions internationales dont il est signataire6. Le FMI doit s’abstenir de prendre des mesures qui menaceraient la possibilité pour l’État emprunteur de se conformer à ses propres obligations nationales et internationales en matière de droits humains7. C’est également ce que rappellent les Principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme de l’ONU : « Les institutions financières internationales […] sont tenues de respecter les droits de l’homme […]. Elles doivent à ce titre s’abstenir de formuler, d’adopter, de financer et de mettre en œuvre des politiques et programmes qui contreviennent directement ou indirectement à la jouissance des droits de l’homme »8. De plus, le FMI, en tant qu’agence spécialisée de l’ONU, est lié par les objectifs et principes généraux de la Charte des Nations unies9, qui comprennent le respect des droits humains et des libertés fondamentales.

Compte tenu des multiples violations de droits humains identifiées dans ce rapport d’audit, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU doit exhorter la Grèce, les États et les institutions créancières de la Grèce à prendre les mesures suivantes :

a) Mettre fin aux mesures d’austérité afin de se mettre en conformité avec leurs propres engagements internationaux tels que le PIDESC et la Charte de l’ONU.

b) Suspendre immédiatement le paiement de la dette grecque qui est manifestement insoutenable afin de donner la priorité au respect des droits humains. La Grèce est actuellement incapable de rembourser sa dette sans compromettre gravement sa capacité à remplir ses obligations en matière de droits humains fondamentaux. Rappelons la supériorité des droits humains sur les autres engagements de l’État comme ceux à l’égard de ses créanciers, en vertu de l’article 103 de la Charte de l’ONU.

À cet égard, la Grèce pourrait légalement recourir à l’argument de l’état de nécessité comme le recommande le chapitre 9 du rapport de la Commission d’audit. Conformément à l’article 25 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, adopté par la Commission du droit international de l’ONU10, le terme « nécessité » renvoie aux cas exceptionnels dans lesquels le seul moyen pour un État de protéger un intérêt essentiel contre un péril grave et imminent est de suspendre, momentanément, l’exécution d’une obligation internationale dont le poids ou l’urgence est moindre. En raison de la crise économique, sociale et humanitaire en Grèce, les conditions requises pour invoquer l’état de nécessité sont remplies.

c) Annuler inconditionnellement des dettes illégales, illégitimes et odieuses telles qu’identifiées dans le rapport. La Grèce pourrait légalement prendre un acte unilatéral de répudiation. Une telle décision se justifie par des considérations impératives de justice et d’équité, mais trouve également ses fondements dans les notions de souveraineté et d’autodétermination. C’est le cas lorsqu’il y a absence de bonne foi, conformément à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui dispose que les traités lient les parties et doivent être exécutés de bonne foi. La mauvaise foi des créanciers a consisté à asservir financièrement la Grèce et à imposer des mesures portant atteinte aux droits fondamentaux du peuple grec, en violation de la législation nationale, européenne et internationale. La mauvaise foi apparaît en outre dans le but ultime des créanciers, qui ne consistait pas à venir en aide au peuple grec mais plutôt, entre autres, à transformer des dettes privées en dettes publiques et ainsi sauver ces grandes banques privées.

De plus, la pression exercée sur les autorités grecques depuis 2010 constitue une forme de contrainte. En effet, lorsqu’un État est, par la contrainte, amené à violer ses obligations de respecter les droits humains afin d’obtenir des crédits, en particulier lorsqu’il est forcé à renoncer à des pans significatifs de sa souveraineté législative et socio-économique, il est considéré comme ayant donné son consentement sous un haut degré de contrainte. Une telle contrainte est en soi un motif de nullité, aux termes de l’article 52 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. La contrainte s’est en outre traduite par l’imposition de conditionnalités strictes et illégales, associée à l’ingérence dans les processus démocratiques en Grèce (comme les menaces répétées d’exclusion de la zone euro). Ce type de contrainte économique peut également être qualifié d’intervention illicite dans les affaires intérieures d’un État, ce qui, bien que cela ne constitue pas un vice du consentement, peut néanmoins être un motif de dénonciation d’un traité et d’une obligations découlant du traité (comme le paiement des dettes) en vertu de l’article 56, paragraphe 1, alinéa b de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

Enfin, le fait que les créanciers aient commis des actes internationalement illicites, en imposant au gouvernement grec plusieurs mesures qui violent les droits fondamentaux, autorise la Grèce à prendre des contre-mesures, sur le fondement du droit international coutumier et des articles 49 et suivants sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite. Comme l’indique le chapitre 9 du rapport, lorsqu’un pays est la cible d’actions qui nuisent à son économie (en particulier dans l’intérêt de ses prêteurs) et aux conditions d’existence de son peuple, un État peut légalement recourir à des contre-mesures. La Grèce est donc en droit de recourir à des contre-mesures notamment en répudiant les dettes à l’égard de la Troïka.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU pourrait également demander à la Cour internationale de justice (CIJ) de se prononcer sur la compatibilité entre les accords conclus entre la Grèce et ses créanciers avec le droit international public.

Lire la déclaration écrite du CETIM

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS Grèce
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