Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a rendu une décision à l’encontre de la Colombie pour n’avoir pas enquêté sur les commanditaires de l’assassinat d’un syndicaliste qui défendait les droits des travailleurs de la multinationale Coca-Cola dans ce pays.
Suite à l’assassinat du syndicaliste colombien Adolfo Múnera en août 2002, le Comité pour la solidarité avec les prisonniers politiques (CSPP) et le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) – représentant la famille d’Adolfo Múnera et le syndicat SINALTRAINAL – ont soumis en 2015 une plainte au Comité des droits de l’homme des Nations unies, en ces termes: « L’État colombien (…) tout en reconnaissant que le meurtre de M. Adolfo Múnera avait des motifs politiques, n’a pas enquêté sur les éventuels commanditaires du crime, à commencer par la multinationale Coca-Cola qui avait été dénoncée publiquement pour ses liens avec des groupes paramilitaires. » Adolfo Munera avait demandé à plusieurs reprises la protection de l’État, notamment après avoir été menacé par des groupes paramilitaires. Cependant, après son assassinat, malgré les indices relatifs aux liens entre la multinationale Coca-Cola et les groupes paramilitaires, le gouvernement colombien n’a pas enquêté sur les auteurs intellectuels du crime.
Finalement, dix-huit ans après son assassinat, le 19 mai 2020, le Comité des droits de l’homme des Nations unies est arrivé à la conclusion de la violation par l’État colombien des articles 2§3 et 6§1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) lors de l’enquête judiciaire et du procès pour le meurtre d’Adolfo Múnera. Le Comité reconnaît que de nombreux cas d’assassinats de syndicalistes ont eu lieu dans cette région dans la même période et soupçonne donc l’existence d’un ou de plusieurs auteurs intellectuels (commanditaires). Auteurs intellectuels qui n’ont pas été recherchés par les autorités judiciaires colombiennes, alors que, dans sa décision, le Comité des droits de l’homme fait référence à l’obligation de l’État d’offrir un recours judiciaire effectif et de mettre en œuvre les instruments normatifs et administratifs pour la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction.
Bien que l’auteur du crime ait été condamné à 17 ans de détention pour le meurtre d’Adolfo, aucune enquête pénale n’a été faite concernant les mobiles de ce meurtre, ni concernant son ou ses auteurs intellectuels, instigateurs et/ou bénéficiaires. Cette manière de traiter un crime est du reste une constante en Colombie.
En fait, quelques jours avant de déposer la plainte, les travailleurs de Coca-Cola affiliés au syndicat Sinaltrainal sont arrivés dans la ville de Bogota et ont entamé une grève de la faim d’une semaine sur la place Bolivar, près du palais présidentiel et du Congrès de la République, pour demander que l’État rende justice pour les meurtres et les menaces de mort dont ont été victimes les travailleurs de Coca-Cola membres de leur syndicat, sans réponse efficace de la part de l’entreprise ou de l’État. Au contraire, il existe toujours des plaintes concernant l’implication possible de la direction de cette entreprise dans des actes de persécution syndicale, qui sont devenus notoires, entre autres avec l’arrestation du la personne en charge des enquêtes chez Coca-Cola, Julián Villarraga en 2019, contre lequel une procédure judiciaire est en cours pour avoir prétendument fait partie d’un réseau d’espionnage illégal auquel participeraient des membres de haut rang de la force publique colombienne.
Après cinq ans de procédure, le Comité a conclu que le droit à la vie inclut l’obligation de l’État d’adopter toute loi ou mesure appropriée pour la protection de ce droit, et ce d’autant plus pour les personnes qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité particulière en raison de menaces spécifiques et/ou de schémas de violence antérieurs1. Selon le Comité des droits de l’homme, une partie essentielle du droit à la vie est l’obligation de l’État d’enquêter et de poursuivre les responsables de sa violation. Une telle obligation fait en effet partie du concept de protection et de garantie de tous les droits reconnus dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Dès lors, il s’agit d’une décision extrêmement importante et utile pour toutes les personnes et les organisations qui luttent contre l’impunité dans ce genre de crimes. En effet, la décision du Comité de déclarer l’État colombien responsable pour non-respect du Pacte en ce qui concerne la violation des droits précités rappelle l’importance d’une enquête judiciaire poussée afin d’établir la vérité et la justice et plus encore en tant que garantie de non-répétition de ces événements. Il va sans dire qu’une enquête qui aboutit à la poursuite des auteurs matériels et intellectuels des faits, et donc au démantèlement des organisations criminelles à l’origine de ceux-ci, est susceptible de prévenir d’autres crimes du même type.
Enfin, le Comité des droits de l’homme des Nations unies ordonne à l’État colombien de fournir, dans un délai de 180 jours, des informations sur les mesures qu’il a adoptées pour faire toute la lumière sur l’assassinat du dirigeant syndical et communautaire Adolfo Múnera, afin qu’enfin, après 18 ans d’attente, les motifs et l’identité des personnes ayant commandité l’acte puissent être connus, que justice soit faite et que l’affaire soit éclaircie. Il ordonne également d’accorder une indemnisation à la famille d’Adolfo Múnera.
De fait, l’État colombien est tenu non seulement d’adopter les mesures nécessaires et adéquates pour poursuivre les commanditaires de l’assassinat d’Adolfo Múnera, mais aussi de mettre en œuvre, sur cette base, une stratégie de clarification réelle des crimes qui ont été commis contre les dirigeants sociaux qui implique non seulement la résolution immédiate de l’affaire, mais aussi l’étude du contexte, des intérêts, des motifs, des schémas et de la non-répétition de ces agressions afin de démanteler les groupes armés qui les commettent.
1 Décision du Comité des droits de l’homme de l’ONU, adoptée le 19 mai 2020 en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication n° 3076/2017, p. 12.