Le « partenariat sur l’éthanol », lancé en grandes pompes par les Etats-Unis et le Brésil le
9 mars dernier, marque une nouvelle étape dans les stratégies énergétiques des grandes puissances, tout comme la décision de l’Union Européenne de remplacer 5,75% des besoins en carburants routiers par des agrocarburants en 2010 et 20% en 2020. L’engouement est tel que l’on parle déjà d’ « OPEP de l’éthanol ». Ces politiques s’inscrivent dans une recherche d’alternatives à faibles coûts aux énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz) de la part des Etats-Unis, de l’UE et de pays tels que le Brésil ou la Chine et dans une volonté de réduire leur dépendance vis-à-vis des pays producteurs du Golfe et autres (en particulier le Venezuela pour les Etats-Unis).
L’utilisation des agrocarburants issus de la biomasse (maïs, canne à sucre, colza, etc.) soulève de nombreuses questions : quel est l’impact de ce type de production, basée sur la monoculture et l’agriculture intensive, sur l’environnement (la biodiversité) et les populations locales ? Ces énergies sont-elles réellement une alternative viable au pétrole ? Quelle est aujourd’hui la finalité de la production agricole si elle n’est plus tournée vers la production alimentaire pour les hommes et les animaux ? Qui sont les véritables gagnants de l’essor des agrocarburants ?
Les conséquences environnementales et sociales de la production des agrocarburants (souvent nommés à tort biocarburants car ils n’ont rien de bio bien au contraire !) sont dénoncées avec vigueur par les organisations paysannes, à l’instar du mouvement international La Vía Campesina.
De nombreux pays du Sud se sont déjà engouffrés dans la brèche des agrocarburants sacrifiant leurs forêts tropicales et leur paysannerie traditionnelle sur l’autel de la rentabilité et du profit immédiat ! Des forêts rasées au Brésil, en Malaisie et en Indonésie -la liste est longue- avec pour conséquences des populations déplacées, faute d’accès à la terre ou à cause de l’érosion ou de l’appauvrissement des sols. En 20 ans, une surface de forêts tropicales égale à six fois la surface de la France a été détruite au profit de l’agriculture intensive et en particulier celle de la canne à sucre, du palmier à huile et du maïs.
En Europe, la limitation des espaces posent la question de la rentabilité et de la viabilité des agrocarburants de manière encore différente. Selon Jean Marc Jancovici, Ingénieur Conseil spécialiste des émissions des gaz à effet de serre, il faudrait par exemple cultiver 118% de la surface totale de la France en tournesol pour remplacer l’intégralité des 50Mtep1 de pétrole consommés chaque année par les Français dans les transports (104% de la surface nationale avec le Colza, 120% avec la betterave et 2700% avec le blé). A l’échelle de l’Europe, les objectifs de l’UE semblent bien difficile à atteindre car « la seule incorporation de 5,75% d’agrocarburants dans les carburants pétroliers nécessiterait 20% de la surface céréalière. En utilisant tout la surface agricole de l’UE, on ne pourrait fournir que 30% des besoins actuels en carburants. »2
De plus, la production d’agrocarburants, pour être rentable, implique l’utilisation à outrance d’engrais (produits à partir du pétrole) et de pesticides pour augmenter la productivité des sols. L’utilisation de grandes quantités d’eau en est aussi une caractéristique. Ainsi, selon les régions de production il faut compter 500 à 1000 litres d’eau pour produire un kilo de maïs et de 1000 à 1500 litres pour produire un kilo de blé… Où cette eau sera pompée si ce n’est dans les nappes phréatiques, les puits, lacs, etc. à disposition. Cette production est en compétition directe avec les besoins vitaux en eau potable des populations et de la paysannerie locales.
Les coûts énergétiques de la transformation (très complexe) et du transport des agrocarburants doivent aussi être mis dans la balance. Selon les informations du journal du Forum civique européen, Archipel, pour produire un litre d’éthanol dans une centrale de l’Iowa (USA) il faut transformer 2,37 kilos de maïs, brûler 500 grammes de charbon et utiliser quatre litres d’eau3. L’utilisation d’énergie fossile dans le processus de transformation des agrocarburants n’est donc pas négligeable. Ajouter à tous les effets collatéraux (déforestation, incendies volontaires pour le défrichage, drainage des eaux, traitements des eaux usées, etc.) cela remet durement en cause le mythe selon laquelle les agrocarburants polluent moins que le pétrole et sont une énergie verte.
Du fait de sa plus grande rentabilité, les agrocarburants prennent le pas inexorablement sur la production alimentaire. De nombreux pays, particulièrement du Sud, ressentent déjà les effets de cette « compétition pour la terre ». Sur les marchés mondiaux, le prix du sucre a doublé et ceux du maïs et du blé augmenté de 25% l’année dernière4. Des pays comme comme le Mexique et le Guatemala, grand importateur de maïs états-uniens, ont vu le prix de la tortilla augmenter pratiquement de 80% en début 2007, les Etats-Unis ayant décidé de garder une plus grande partie de leur maïs pour le transformer en éthanol. Pour les pays du Sud et les populations les plus pauvres, le développement de l’industrie des agrocarburants est une catastrophe. Cette industrie ne peut se développer parallèlement au respect de leur sécurité, de leur souveraineté et de leur droit à l’alimentation !
L’industrie des agrocarburants qui s’est développé ces dernières années est la véritable gagnante de cette frénésie. Les groupes automobiles, céréaliers et pétroliers travaillent main dans la main. « Ces multinationales cherchent à concentrer leurs activités de recherche, de production, de transformation et de distribution relatives à nos systèmes alimentaires et d’approvisionnement en carburants. »5
Le développement des agrocarburants à travers le monde comme solution à la raréfaction des ressources fossiles est une chimère car il n’est pas dans sa forme actuelle une alternative viable et réelle aux combustibles fossiles et ne permettra pas de réduire le réchauffement climatique. Au contraire, cette production met gravement en danger la fonction traditionnelle de l’agriculture -soit fournir des biens alimentaires aux hommes et animaux- en accaparant non seulement des terres et en poussant à la destruction des forêts primaires, etc., mais aussi en détournant de la chaîne alimentaire des matières premières essentielles à la vie au profit de l’industrie automobile.
Les organisations signataires recommandent au Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation d’étudier cette question dans le cadre de son prochain rapport.