La sixième session de négociations du Groupe de travail intergouvernemental des Nations unies chargé d’élaborer un instrument juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales (STN) et les droits humains, s’est tenue à Genève du 26 au 30 octobre 2020.
Comme chaque année, le CETIM et ses organisations partenaires, réunies au sein de la Campagne mondiale pour revendiquer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des sociétés transnationales et mettre fin à l’impunité (Campagne mondiale), ont suivi et participé aux négociations afin de faire entendre la voix des peuples et des communautés affectées par les activités de ces entités. À l’évidence, la Campagne mondiale, présente depuis le début du processus, en constitue la principale force motrice. D’ailleurs, l’appel à élaborer ce cadre juridique international découle justement de la nécessité de protéger et d’assurer l’accès à la justice des personnes affectées face aux violations commises par des STN.
Cette année, en raison des restrictions imposées par la situation liée au COVID-19 et l’impossibilité de se rendre à Genève, les négociations se sont déroulées de façon « hybride » : une présence physique à l’ONU limitée, et la possibilité de suivre et participer virtuellement. Le CETIM et ses partenaires avaient averti que, en raison de la situation actuelle, les conditions nécessaires à la tenue d’une session de négociation adéquate, inclusive et participative, n’étaient pas remplies. D’où la proposition de transformer les négociations formelles en une consultation informelle. En effet, les fuseaux horaires différents, les agendas politiques internes saturés par l’urgence sanitaire, ainsi que des problèmes techniques répétés dans la participation à distance, ont non seulement empêché la tenue d’une négociation digne de ce nom, mais aussi limité la place des organisations et des mouvements sociaux dans les négociations.
Cependant, grâce au travail en collectif et au dévouement de ses membres, le Campagne mondiale, représentée par le CETIM dans l’enceinte onusienne, a réussi à faire entendre la voix du terrain tout au long de la semaine de négociation.
Un texte insuffisant
En termes de contenu, le Groupe de travail s’est penché sur un nouveau projet de traité présenté par la Présidence (assumée par l’Équateur), le troisième depuis le début du processus en 2015. Les organisations de la Campagne mondiale ont manifesté leur préoccupation face aux problèmes structurels majeurs qui persistent dans le projet, tout en s’engageant dans les négociations spécifiques article par article, avec des propositions de rédaction alternatives et des amendements concrets. Notre préoccupation principale est que le texte actuel continue à ne pas refléter l’objectif du mandat tel que prévu par la résolution 26/9, à savoir celui de réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises à caractère transnational. Cette nouvelle version contient encore des aspects problématiques qui pourraient empêcher d’atteindre cet objectif et en conséquence de s’attaquer aux violations commises par les STN. En effet, ces violations restent pour la plupart sans réponse en raison d’une part des lacunes dans le droit international concernant ces entités, et d’autre part de leur pouvoir politique et économique incommensurable.
Il convient de noter qu’un bon nombre de délégations étatiques était sur la même longueur d’onde que la Campagne et ont une fois de plus montré leur engagement dans le processus, en soutenant un traité contraignant ambitieux, focalisé sur la réglementation des STN et de leurs chaînes de valeur, et non pas de n’importe quelle entreprise, comme souhaité par les détracteurs du processus. Des délégations ont aussi plaidé pour l’établissement d’obligations directes pour les STN, qui ne sont pas à confondre avec celles déjà établies pour les États. Ce point est crucial : établir des obligations directes pour les STN est nécessaire pour garantir des dispositions légales fortes et capables de rendre ces entités responsables de leurs actes, en surmontant leur capacité d’influencer le champ politique et d’échapper aux juridictions nationales.
De l’autre côté, nous retrouvons toujours le même groupe d’États qui ne veulent rien savoir de ce traité, ou qui plaident pour un traité vidé de sa raison d’être et de sa capacité de constituer un rempart contre le pouvoir des multinationales que ces mêmes États abritent. Parmi ces pays, on trouve la presque totalité des pays du Nord, mais aussi certains pays du Sud, mis sous tutelle par les puissances du Nord et/ou soumis à l’influence des représentants des STN.
Cela dit, à l’issue de la 6e session, il a été convenu que la Présidence élabore une nouvelle version du projet de Traité, tenant compte de la position de la majorité d’États qui exige le respect du mandat du Groupe de travail intergouvernemental, tel que précisé dans la résolution 26/9. Cette nouvelle version sera présentée à la 7e session dudit Groupe de travail en octobre 2021.
De manière générale, les défis auxquels nous sommes confrontés sont multiples. À cela s’ajoute la conjoncture internationale actuelle défavorable, marquée par la volonté des élites dominantes de défendre le statu quo. Néanmoins, le CETIM et la Campagne mondiale continueront la lutte contre l’impunité des multinationales, aussi à travers leur engagement dans ce processus historique. Nous restons pleinement convaincus que ce processus constitue un espace de lutte d’envergure contre le système prédateur qu’on appelle néolibéral, dominé par les STN, permettant à ces dernières de dicter leurs volontés/intérêts aux gouvernements. Notre engagement au sein de l’ONU en faveur de ce processus doit être considéré comme étant complémentaire à d’autres espaces de lutte, que ce soit au niveau local, national ou régional. Le contexte politique et économique international nous rappelle chaque jour la pertinence et la nécessité de pouvoir compter sur un tel instrument juridique afin de rendre justice aux peuples et communautés dont les droits sont bafoués chaque jour en toute impunité.