Du 2 au 6 février 2015 s’est tenue à Genève la deuxième session du groupe de travail intergouvernemental sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Un projet révisé de Déclaration a été présenté. Il reprend la plupart des propositions formulées par les organisations paysannes au cours des consultations informelles en novembre 2014. Une importante délégation de La Vía Campesina et d’autres organisations était présente pour participer aux discussions.
Il faut rappeler que l’adoption d’une Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans est une proposition qui émane du mouvement international paysan La Vía Campesina et que le CETIM l’accompagne dans ses démarches à l’ONU depuis 2001. Cette campagne est menée conjointement avec FIAN International et avec la participation active d’Uniterre.
Après un intense effort de sensibilisation et de plaidoyer, nous avons obtenu en septembre 2012 une décision positive au Conseil des droits de l’homme avec la création d’un groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer une Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.
Du 2 au 6 février 2015, le groupe de travail intergouvernemental s’est réuni à Genève pour examiner un projet révisé de Déclaration, préparé par la Présidente dudit groupe de travail, l’Ambassadrice de Bolivie auprès des Nations Unies à Genève, sur la base des discussions lors de la première session et des consultations informelles organisées en novembre 2014.
Un nouveau succès. Ce nouveau projet de Déclaration reprend la plupart des propositions formulées par les organisations paysannes ! Il s’agit d’un nouveau succès pour la campagne menée par La Vía Campesina avec l’appui du CETIM et de FIAN International.
Un effort a été réalisé lors de la rédaction du nouveau texte pour utiliser, dans la mesure du possible, du langage agréé au niveau international. Le résultat devrait permettre de faciliter les négociations et de fournir aux États une base plus acceptable pour leurs discussions.
Le nouveau projet de Déclaration est, de manière générale, plus long et plus complet. Il contient 30 articles (contre 13 dans le projet précédent) et des obligations des États par rapport à la mise en œuvre des droits ont été inclues pour chaque article.
De nouveaux articles ont été intégrés pour donner plus de visibilité aux droits civils et politiques, tels que le droit à la vie, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la liberté d’association ou l’accès à la justice.
Les droits économiques, sociaux et culturels ont également été renforcés, avec en particulier l’inclusion d’articles spécifiques concernant le droit à l’alimentation, le droit au travail, le droit à la sécurité sociale, le droit à un revenu décent, le droit à la santé ou le droit à l’eau.
La Déclaration va ainsi renforcer la visibilité de droits certes déjà reconnus mais souvent méconnus par les personnes intéressées et par ailleurs peu respectés. La Déclaration va également permettre des avancées au niveau du contenu de ces droits et des obligations des États, pour répondre aux besoins et aux réalités spécifiques des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales.
Le nouveau projet de Déclaration reprend de nombreuses propositions présentées par les paysans dans ce sens, notamment l’inclusion du droit des paysans à produire leur propre nourriture en tant que composant fondamental du droit à l’alimentation, le droit de ne pas être exposé aux substances chimiques toxiques utilisées dans l’agriculture dans l’article sur le droit à la santé ou l’obligation pour les États de faciliter l’accès aux marchés locaux et régionaux pour la production paysanne dans l’article sur le droit à un revenu décent.
Les droits des femmes ont été renforcés, avec l’inclusion d’un article sur les droits des femmes rurales et d’un article sur l’égalité de genre. Le nouveau projet de Déclaration reprend également une autre revendications centrale des organisations paysannes avec l’inclusion d’un article spécifique sur le droit à la souveraineté alimentaire.
Nouveaux droits? Enfin, la plupart des droits essentiels pour les paysans, tels que le droit à la terre, le droit aux semences, le droit à la biodiversité ou le droit aux ressources productives, sont maintenus dans le projet révisé de Déclaration.
Si ces droits ne sont effectivement à ce stade pas reconnus pour les paysans au niveau du système des droits humains, ils sont en partie reconnus pour d’autres catégories de personnes ou au sein d’autres instruments internationaux, et ne devraient pas être qualifier de «nouveaux».
Au niveau du contenu de ces articles clés du projet de Déclaration, une bonne partie des propositions présentées par les paysans lors des consultations informelles ont été reprises.
A titre d’illustration, les articles sur le droit aux semences et à la biodiversité établissent le droit des paysans à utiliser, cultiver, réutiliser, conserver, développer, échanger, transporter, donner et vendre leurs semences. Ils établissent l’obligation des États de respecter, protéger et promouvoir les systèmes semenciers paysans, et de les protéger de la contamination génétique et de la biopiraterie.
L’article sur le droit aux moyens de production est renforcé et inclut le droit au crédit (d’une manière indépendante de la propriété, ce qui extrêmement intéressant), le droit aux outils, à l’assistance technique, et aux moyens de transport ou de transformation de la production paysanne. Il comprend aussi des dispositions par rapport à la promotion de la production agro-écologique.
Importante délégation. Une importante délégation de La Vía Campesina était présente à Genève pour participer à la réunion, avec deux représentants des organisations paysannes d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Europe, soit huit délégués au total. Des représentants de la Fédération internationale des mouvements d’adultes ruraux catholiques (FIMARC), de l’Alliance mondiale des peuples indigènes mobiles (WAMIP), du Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP) et de l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation et de l’agriculture (UITA) avaient été invités à participer au processus et étaient également présents.
Tous ces délégués ont bénéficié de l’appui du CETIM, non seulement au niveau logistique mais surtout pour la préparation de la session (analyse du nouveau texte et préparation des interventions) ainsi que l’organisation de diverses activités (rencontres avec les délégués ou conférences parallèles).
Les délégués ont pris une part active aux discussions lors de la session du groupe de travail et ils ont pu faire entendre leurs propositions et revendications par rapport au nouveau texte. De nombreuses interventions ont été réalisées afin de soutenir le nouveau texte et de formuler des propositions par rapport au contenu des différents articles. L’accent a été mis sur le droit à la terre et le droit à un revenu décent (voir encadrés) et deux conférences parallèles ont été organisées sur ces thématiques.
Droit à la terre Le droit à la terre est reconnu dans l’article 19 du nouveau projet de Déclaration. Un effort a été réalisé pour utiliser du langage existant dans d’autres instruments internationaux, notamment dans les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers adoptées en 2012 par consensus au Comité de la sécurité alimentaire mondiale (FAO). Les principales dispositions du nouveau texte concernent l’accès à la terre et la sécurité de l’occupation, deux éléments fondamentaux pour les paysans. Les délégués de La Vía Campesina et le CETIM ont insisté sur la nécessité de renforcer le contenu de l’article avec des dispositions relatives à la réforme agraire, la fonction sociale de la terre, la limitation de la concentration des terres et l’interdiction des latifundios, le droit d’occuper les terres improductives, le droit à un usage collectif et communautaire de la terre ou la constitution de patrimoines agraires publics inaliénables. L’inclusion d’obligations extra-territoriales spécifiques pour les États a également été proposée. |
Droit à un revenu décent Le droit à un revenu décent est reconnu dans l’article 18 du nouveau projet de Déclaration. Il s’agit d’un droit humain reconnu mais qui est réaffirmé pour les paysans et adapté à leurs besoins et nécessités spécifiques. Les principales dispositions de l’article concernent le droit des paysans à obtenir un revenu décent à travers la vente de leurs produits et l’accès aux marchés locaux, nationaux et régionaux pour la production paysanne. Les délégués de La Vía Campesina et le CETIM ont défendu la nécessité de renforcer cet article en incluant de manière explicite l’obligation des États de réguler les marchés afin d’interdire l’abus de pouvoir, les positions dominantes, le dumping et les monopoles et de garantir des prix équitables et rémunérateurs pour la production paysanne. Nous avons également proposé d’inclure de manière plus explicite l’obligation des États de protéger, de permettre et de développer l’accès aux marchés, la commercialisation, la vente directe, la production, l’échange et la transformation artisanale des produits paysans, à travers des normes, des standards et des instruments différenciés et appropriés aux besoins des paysans. Enfin, il a également été suggéré d’inclure des dispositions concernant les subventions et les aides publiques afin qu’elles soient octroyées en priorité aux paysans. |
Dans l’ensemble, les États ont réservé un accueil favorable au nouveau texte et un bon nombre d’entre eux se sont engagés de manière constructive dans les négociations. L’élaboration du nouveau texte a été plus longue que prévue et les délégations ne l’ont reçues que tardivement (une semaine avant le début de la session) et en anglais uniquement, ce qui a compliqué quelque peu les discussions. Mais une première lecture du nouveau projet de Déclaration a pu être réalisée et de nombreuses propositions concrètes ont été formulées. Le nombre d’États qui participent activement aux négociations est en augmentation et les positions commencent à se rapprocher par rapport à plusieurs éléments clés du projet de Déclaration.
Toutefois, les pays occidentaux, à l’exception notable de la Suisse et du Luxembourg, continuent à faire preuve d’une attitude peu constructive et posent des conditions inacceptables pour leur pleine participation au processus. Alors que les États-Unis et ses plus proches alliés continuent de contester la nécessité même d’une Déclaration, l’Union européenne s’oppose à la reconnaissance de nouveaux droits pour les paysans. Mais même au sein de l’Union européenne des fissures commencent à apparaître et des critiques se font entendre dans les couloirs par rapport à une position jugée peu constructive et trop radicale.
Le Conseil des droits de l’homme va sans doute convoquer une troisième session du groupe de travail en 2016. Le texte ne devrait pas bouger d’ici là. En effet, pour prendre en compte les préoccupations des délégations qui ont indiqué ne pas avoir eu suffisamment de temps pour analyser en détail le texte et formuler leurs propositions, la Présidente du groupe de travail recommande, dans ses conclusions adoptées par les États à la fin de la session, qu’une deuxième lecture du projet révisé de Déclaration soit réalisée au cours de la prochaine session du groupe de travail intergouvernemental.