Monsieur le Président,
La liberté syndicale est reconnue comme partie intégrante des droits fondamentaux de l’homme et pierre angulaire des dispositions visant à assurer la défense des travailleurs dans de nombreux instruments internationaux. En effet, la Convention No 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de l’Organisation internationale du Travail, de même que l’article 23 alinéa 4 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 8 du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et l’article 22 du Pacte relatif aux droits civils et politiques portent sur la promotion et la défense syndicale.
Le CETIM tient à mettre en exergue l’interdépendance entre les droits syndicaux et les libertés civiles et politiques, soulignant ainsi l’idée qu’un mouvement syndical réellement libre et indépendant ne peut se développer que dans le respect des droits fondamentaux de l’homme. Toute limitation des garanties énoncées dans la Charte internationale des droits de l’homme est l’une des causes majeures de violation de la liberté syndicale.
A la lecture des 105 cas d’allégations, en novembre 1994, relatifs à la Convention No 87 soumis au comité de la liberté syndicale de l’OIT et portant sur des violations flagrantes des droits syndicaux, force est de constater que ces principes intangibles à vocation universelle sont systématiquement bafoués par des gouvernements qui, par peur de toute confrontation, préfèrent miser sur des lois coercitives rendant caduque la mise en oeuvre effective de ces normes. Pire, certains pays n’hésitent pas à opter résolument pour une surenchère de la violence en vue de juguler toute forme d’action collective.
Pourtant les syndicats incarnent dans de nombreux pays en voie de développement les aspirations des laissez-pour-compte d’un néo-libéralisme à outrance et représentent une courroie de transmission entre les intérêts de la majorité de la population et les élites, veillant par la même à combler un fossé qui ne cesse de se creuser. Face à l’accroissement de la paupérisation, de nombreux gouvernements persistent dans leur refus de considérer les syndicats comme des partenaires indispensables au fondement du processus de développement de leur pays.
A l’instar de la Confédération mondiale du Travail, le CETIM est profondément préoccupé par la répression antisyndicale qui s’abat sur les syndicalistes dans de nombreux pays. Le recours aux menaces, au harcèlement, à l’exil, à l’emprisonnement, à la répression policière, voire à la torture et aux exécutions arbitraires envers des hommes et des femmes dont l’unique tort est d’avoir défendu les droits légitimes des travailleurs – droits reconnus internationalement – en est la plus tragique illustration.
Or, malgré les profondes mutations sur les plans politique, économique et social que connaît le continent africain et dans lesquelles les syndicats ont souvent joué un rôle majeur, notamment dans le processus de démocratisation, des Etats africains continuent à se retrancher derrière, soit un arsenal juridique, soit des mesures violant et le droit syndical et les libertés civiles et politiques. A titre d’exemple, on peut citer le cas de la Côte-d’Ivoire où les membres du syndicat “Dignité” font l’objet d’une politique systématique de répression et d’intimidation de la part du gouvernement qui n’hésite pas à avoir recours à la force et aux emprisonnements abusifs pour étouffer tout pluralisme syndical. L’arrestation et l’incarcération sans aucun chef d’accusation de Basile Mahan Gahe, Secrétaire Général de “Dignité”, actuellement remis en liberté, est à replacer dans ce contexte. Ces faits dénotent un manque de respect flagrant de la vie et des droits des travailleurs de la part des autorités ivoiriennes et ceci malgré la mission de contact direct envoyée par l’OIT qui avait abouti à un accord entre la syndicat “Dignité” et le ministère de l’intérieur en octobre 1994.
Monsieur le Président, le CETIM est particulièrement inquiet face à la situation qui prévaut en Amérique centrale et latine. En Colombie, on assiste à une recrudescence de la violence et en particulier des homicides à l’encontre des dirigeants syndicaux qui continuent d’être la cible privilégiée des tueurs à gage, agissant pour le compte d’employeurs, de propriétaires terriens ou de services officiels. Dans ses conclusions sur ce pays, le Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du Travail note dans son rapport de mars 1994, je cite:
“En ce qui concerne plus concrètement les allégations relatives aux assassinats, disparitions, agressions et menaces de mort dont ont été victimes un grand nombre de dirigeants syndicaux et de syndicalistes, le Comité déplore profondément ces actes qui sont des atteintes aux droits de l’homme fondamentaux. Le Comité rappelle que l’absence de jugements contre les coupables entraîne une impunité de fait qui renforce le climat de violence et d’insécurité, ce qui est extrêmement dommageable pour l’exercice des activités syndicales.” Fin de citation (292e rapport du Comité de la liberté syndicale, BIT, mars 1994, p.67).
Les agressions dont sont victimes les syndicalistes existent aussi dans d’autres pays comme le Pérou, la Bolivie et Panama pour n’en citer que quelques-uns. En revanche, le CETIM tient à attirer l’attention des membres de la Commission des droits de l’homme sur les actes d’intimidation et de répression qui s’abattent sur les syndicalistes au Guatemala, entraînant dans leurs sillages des violations flagrantes des droits fondamentaux. A ce titre, il suffit de lire le rapport de l’experte indépendante pour le Guatemala, Madame Monica Pinto, qui mentionne dans ses conclusions et recommandations (EICN.411 995/15, p.511, je cite:
“Les possibilités formelles d’exercice des droits syndicaux doivent être traduites dans les faits. Le gouvernement et les entreprises doivent trouver des formes pacifiques et raisonnables de coexistence avec le mouvement syndical, excluant toute discrimination ou répression, directe ou indirecte. “. Fin de citation.
En Asie, le CETIM observe toutefois avec une vive préoccupation que la situation concernant la liberté syndicale n’a guère évolué dans un certain nombre de pays, quand elle ne s’est pas dégradée. Le refus catégorique de certains gouvernements d’accepter le caractère universel des droits de l’homme et par conséquent des libertés syndicales, se traduit par des entraves de plus en plus nombreuses à l’activité syndicale. Une législation antisyndicale est en vigueur dans pratiquement tous les pays de la région pour limiter la portée des activités d’action collective. De l’avis général, la Chine et Myanmar continuent à détenir le record des violations les plus répressives des droits humains et syndicaux.
Toutefois, le CETIM tient tout particulièrement à souligner le caractère extrêmement répressif des interventions du gouvernement indonésien à l’encontre des militants syndicaux. Le cas du Dr Muchtar Pakpahan, président du syndicat indépendant SBSI illustre bien l’appareil répressif mis en place par l’Indonésie. Pour avoir pris fait et cause pour les travailleurs et avoir dénoncé toutes sortes de situations intolérables, le Docteur Muchtar Pakpahan s’est vu condamné, en novembre dernier, à trois ans de prison pour incitation à la grève. Actuellement, son état de santé est très critique et la visite à un médecin lui est refusée.
A la lumière des considérations et des exemples qui précédent, il importe de relever que la promotion des conditions de travail par la négociation collective reste un axe essentiel de l’action syndicale. Ce faisant l’évolution du mouvement syndical et sa reconnaissance accrue comme partenaire social à part entière exigent que les organisations de travailleurs puissent se prononcer sur les problèmes politiques et notamment manifester publiquement leur opinion sur la politique économique, sociale de leur gouvernement sans avoir à encourir des sanctions violant les droits fondamentaux de l’homme.
Pour conclure Monsieur le Président, le CETIM tient à souligner que la liberté syndicale a été reconnue comme une composante essentielle des droits de l’homme dans une Résolution de 1970 adoptée par l’Organisation internationale du Travail, concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles, à ce titre elle ne saurait être remise en question pour des raisons purement économiques ou politiques. La mise en oeuvre des normes et principes de la liberté syndicale et singulièrement de la Convention No 87 est étroitement conditionnée par le respect des droits civils et politiques. Bien que cette interdépendance semble parfois tenue pour acquise, le CETIM souhaite la rappeler et la souligner, ne serait-ce qu’en raison de la persistance et de la gravité des violations des droits de l’homme et des atteintes aux droits syndicaux fondamentaux.