A partir des années 1960, des mercenaires ont été utilisés massivement pour empêcher des peuples colonisés d’accéder à l’indépendance, pour déstabiliser des États nouvellement indépendants ou encore pour contrer des gouvernements légitimes dont les orientations politiques ne convenaient pas aux puissances coloniales1.
Depuis environ trois décennies, une nouvelle forme de mercenariat a vu le jour à travers des sociétés militaires et de sécurité privées (SMSP). Leurs activités ne se limitent pas au gardiennage ou à la logistique, mais s’étendent aussi à la participation directe à des conflits armés ainsi qu’à la formation, au renseignement, au déminage…
Par l’emploi de SMSP, certains États puissants cherchent à camoufler, lors de leurs interventions militaires sur différents continents, leur responsabilité dans les violations du droit international humanitaire et des droits humains. L’emploi de ces entités répond aussi à la tendance à la privatisation des guerres, étant donné que les États ne se sentent plus obligés de rendre des comptes à leurs citoyen·nes, mais également pour prévenir des révoltes populaires lorsque des mercenaires sont tués sur les champs de bataille à la place des recrues…
A noter que les États ne sont pas seuls à utiliser ces entités. De nos jours, certaines sociétés transnationales les emploient pour la répression des populations civiles locales et des organisations qui s’opposent à l’exploitation des ressources naturelles pour défendre leur milieu de vie. L’existence même des SMSP est non seulement une atteinte à la fonction régalienne des États dans les domaines militaires et de sécurité, mais également une menace pour l’exercice de la démocratie et de la jouissance des droits humains.
Dès lors, il faudrait logiquement interdire purement et simplement la création même des SMSP. C’est ce qu’a essayé de faire d’ailleurs l’Union africaine avec sa Convention pour l’élimination du mercenariat en Afrique. Sans succès jusqu’ici étant donné que ces entités sont utilisées par les puissants du moment (États-Unis, certains États européens, la Russie, Israël, la Turquie…) qui font bien souvent fi du droit international.
Depuis plus de deux décennies, des démarches sont entreprises au sein de l’ONU, sous le leadership de l’Afrique du Sud, pour tenter de réguler les activités des SMSP par l’élaboration d’un instrument juridique international. La première tentative a échoué. La deuxième tentative, lancée en 2017, est en cours, et le Groupe de travail intergouvernemental chargé de ce dossier s’est réuni pour sa 3e session à Genève (25-29 avril 2022).
Les débats se sont focalisés sur la nature du futur instrument : code de conduite volontaire ou convention juridiquement contraignante ? Sans surprise, les « utilisateurs » de SMSP (l’Union européenne, la Russie, le Japon…) ont plaidé pour un instrument volontaire à l’instar du Document de Montreux2. Le plus grand employeur des SMSP (États-Unis) n’a pas participé aux débats, alors que la plupart des pays du Sud qui y ont participé (Afrique du Sud, Pakistan, Venezuela…) ont réclamé une convention juridiquement contraignante. Aucune décision formelle n’a été prise à ce propos.
Pourtant, le but du nouvel instrument juridique est bien modeste. Il s’agit de rappeler les normes internationales en vigueur afin que les États concernés réglementent les activités de ces entités et de leur personnel, en prévoyant des voies de recours pour les victimes en cas de violations du droit international humanitaire et des droits humains3.
Le CETIM a participé aux pourparlers sur ce document en faisant des propositions concrètes pour renforcer le texte.
A nos yeux, à défaut d’interdire les activités des SMSP, le futur instrument international devrait en particulier :
tenir les SMSP directement responsables de leurs actes, en plus de la responsabilité des États et autres entités qui les emploient ;
préciser la question de la sous-traitance afin de pouvoir établir la chaîne des responsabilités, tenant compte des montages juridiques complexes et des contrats entre multiples entités ;
préciser les sanctions pénales à l’encontre des SMSP en tant qu’entité, de leurs dirigeant·es et cadres, non seulement au niveau national mais également au niveau international ;
préciser la question des contrats entre les SMSP et les sociétés transnationales actives dans la production, activités minières ou de services ;
prévoir un mécanisme de mise en œuvre du futur instrument afin de pouvoir évaluer son impact.
Le Groupe de travail en question se réunira l’an prochain pour poursuivre ses délibérations. A suivre…
Lire le cahier critique n° 8, Mercenaires, mercenariat et droits humains
1 Voir Cahier critique n° 8, Mercenaires, mercenariat et droits humains, Melik Özden, éd. CETIM, novembre 2020.
2 Cf. www.montreuxdocument.org/fr/about/montreux-document.html. Pour plus d’information, voir Cahier critique n° 8, Mercenaires, mercenariat et droits humains, Melik Özden, éd. CETIM, novembre 2020.