À l’heure de la pandémie de Covid-19, les mesures coercitives unilatérales continuent de faire rage. Cela est d’autant plus préoccupant dans le contexte actuel, marqué par une crise économique profonde qui, suite à la pandémie, s’accentue davantage.
Les mesures coercitives unilatérales sont des instruments employés par certains gouvernements à des fins politiques. Ces mesures peuvent prendre la forme de sanctions économiques et financières, d’embargos commerciaux ou d’autres mesures de ce type. Elles visent à établir des entraves commerciales et bancaires pour empêcher par exemple l’achat de médicaments, d’équipements médicaux, de nourriture et d’autres biens essentiels. Les conséquences néfastes de ces mesures sont dramatiques, surtout dans le contexte de la pandémie de Covid-19, affectant pratiquement tous les droits humains en particulier le droit à la vie. En ce sens, le maintien de ces mesures est tout simplement criminel.
De nos jours, de nombreux pays sont soumis à de multiples formes de sanctions[1]. Si certaines d’entre elles sont décrétées par le Conseil de sécurité de l’ONU (embargo sur les armes par exemple pour certains pays en conflit armé), la plupart de ces sanctions sont imposées par les États-Unis de manière unilatérale et suivies par leurs alliés proches tels que l’Union européenne. Contrairement au discours officiel, l’objectif de ces États, profitant de leur position dominante sur l’échiquier international, est de déstructurer l’appareil économique du pays ciblé afin de provoquer le renversement de son gouvernement qui ne se soumet pas à leur volonté.
Parmi les exemples de sanctions économiques imposées par les États-Unis, il faut citer le cas de Cuba, soumis à des sanctions qui détiennent le triste record d’être les plus longues (depuis 1962) et les plus cruelles (blocus total). A lui seul, ce petit pays insulaire réunit toutes les caractéristiques et conséquences néfastes de mesures coercitives unilatérales, touchant pratiquement tous les secteurs : énergie, industrie, technologie, immobilier, infrastructures, agriculture, construction, tourisme, banque et finance. De plus, Cuba est privé de recettes en devises étrangères, subit des entraves à l’approvisionnement de biens de première nécessité (alimentation et médicaments entre autres) et à l’exportation de ses produits.
Récemment, des entreprises ont renoncé à livrer à Cuba des appareils respiratoires, pourtant indispensables pour sauver les vies de personnes touchées par Covid-19, pour ne pas être sanctionnées par les États-Unis. Il arrive qu’un pays comme la Suisse, pourtant réputé neutre, contribue à ces sanctions unilatérales. En effet, en plus des banques privées suisses, PostFinance Suisse (une institution financière publique) a aussi récemment suspendu tout transfert d’argent vers Cuba[2], empêchant ainsi des associations suisses de collaborer avec des entités médicales cubaines.
Ce blocus constitue le principal obstacle au développement de toutes les potentialités de l’économie cubaine. Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, ces mesures « coûtent surtout au peuple cubain d’incommensurables sacrifices, le privant de la jouissance de ses droits humains élémentaires, y compris ceux à l’autodétermination et au développement »[3].
Des répercussions similaires peuvent être observées dans d’autres pays, cibles de mesures coercitives imposées par les Etats-Unis, tels que le Venezuela, l’Iran et la Syrie.
Les mesures coercitives unilatérales sont, en toutes circonstances, contraires au droit international relatif aux droits humains et violent ses dispositions, en particulier la Charte des Nations Unies et les Conventions de Genève de 1949 et leurs deux protocoles. Les organes de l’ONU (Assemblée générale[4] et Conseil des droits de l’homme[5] entre autres) ont condamné à de multiples reprises ces mesures.
Récemment, un groupe d’experts des droits humains de l’ONU ont appelé les États-Unis « à lever leur embargo économique et financier sur Cuba qui fait obstacle aux réponses humanitaires pour aider le système de santé du pays à lutter contre la pandémie de COVID-19 »[6].
De son côté, la nouvelle Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme, Mme Alena Douhan, a souligné que dans le cadre de la pandémie actuelle « il est nécessaire d’adopter une approche soucieuse des droits de l’homme pour affronter la crise du COVID-19, et cela passe par la levée des mesures coercitives entre les États ». Dans son communiqué individuel diffusé antérieurement, elle rappelle que « les pays sanctionnés sont particulièrement touchés, car ils ne peuvent pas se servir de leurs revenus pour importer les équipements, les médicaments, les traitements antiviraux et les aliments provenant des marchés mondiaux »[7].
Nous faisons face à une crise d’une ampleur exceptionnelle, qui touche à tous les aspects de la vie et du fonctionnement des sociétés à l’échelle mondiale. La lutte contre le Covid-19, qui ne connaît pas de frontières, passe par un esprit de respect mutuel, de coopération internationale, de solidarité entre les peuples et les États, conformément à la Charte des Nations Unies.
Pour Alfred de Zayas, ancien Expert indépendant de l’ONU sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, les États-Unis et tous les autres États qui recourent aux mesures coercitives unilatérales ont une responsabilité civile et pénale et à ce titre la Cour pénale internationale doit condamner ces pratiques en tant que crime contre l’humanité, en vertu de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale[8].
Les mesures coercitives unilatérales nuisent à la capacité des pays concernés de faire face à la pandémie et au modèle de développement choisi, conformément au droit des peuples de décider de leur avenir. C’est pourquoi le CETIM réitère sa demande de lever immédiatement et intégralement, toutes les mesures coercitives unilatérales sans condition.
[1] On peut mentionner parmi ces pays: Biélorussie, Burundi, Corée du Nord, Cuba, Iran, Lybie, Myanmar, Palestine, Pakistan, Russie, Somalie, Soudan, Syrie, Yémen, Venezuela, Zimbabwe…
[2] Voir la campagne lancée par les « Organisations suisses de solidarité et pour les droits humains – Cuba »
[3] Voir entre autres la déclaration écrite du CETIM, soumise à la 36e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, septembre 2017.
[4] Voir entre autres la résolution 74/200, adoptée le 19 décembre 2019.
[5] Voir entre autres la résolution 40/3, adoptée le 21 mars 2019.
[6] Traduction du CETIM. Source: Déclaration conjointe, “US must lift its Cuba embargo to save lives amid COVID-19 crisis, say UN experts”, 30 avril 2020, signée par Mme Alena Douhan, Rapporteuse spéciale sur l’impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur la jouissance des droits de l’homme, M. Saad Alfarargi, Rapporteur spécial sur le droit au développement, Mme Catalina Devandas-Aguilar, Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, Mme Agnès Callamard, Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, M. Livingstone Sewanyana, Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, M. Obiora Okafor, expert indépendant sur les droits de l’homme et la solidarité internationale, M. Nils Melzer, Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
[7] Déclaration, « Une experte de l’ONU exhorte les gouvernements à sauver des vies en levant toutes les sanctions économiques face à la pandémie de COVID-19 », 3 avril 2020.
[8] Voir l’interview de M. Alfred de Zayas, paru dans Horizons et débats, n° 7, 14 avril 2020.