Palestine : anatomie du génocide

17/06/2024

La situation des droits humains des Palestinien·nes a été au cœur de la 55e session du Conseil des droits de l’homme. Dans ce cadre, le rapport de la Rapporteuse spéciale, Mme Francesca Albanese, a été très remarqué.

Intitulé l’Anatomie du génocide1, ce rapport bien documenté analyse la guerre en cours à Gaza. Selon la Rapporteuse, les schémas historiques de génocide « révèlent que la persécution, la discrimination et d’autres formes de préjudice sont souvent les prémices nécessaires à la phase finale d’extermination. En Palestine, le déplacement et l’effacement de la présence arabe autochtone ont été des conséquences inévitables de l’établissement d’Israël en tant qu’‘État juif’. »

La Rapporteuse déplore le camouflage humanitaire pour justifier le ciblage des civils et des infrastructures de Gaza par l’armée israélienne en précisant que : « Israël a intensifié sa politique de décivilisation des Palestiniens en justifiant l’utilisation de la violence contre les civils et la destruction des infrastructures vitales par des concepts du droit international humanitaire. » Cette distorsion des concepts du droit humanitaire vise à les vider de leur contenu normatif, « sapant ainsi leur objectif protecteur et érodant la distinction entre civils et combattants dans les actions israéliennes à Gaza. »

Pour la Rapporteuse, en considérant Gaza comme un objectif militaire total, « Israël a ainsi aboli de facto la distinction entre objectifs civils et objectifs militaires, menant à la destruction massive de quartiers entiers de Gaza. (…) Cette stratégie peut raisonnablement être interprétée comme une politique génocidaire. » « D’autant plus que cette politique a été approuvée et mise en œuvre par des hauts responsables israéliens. »

Le narratif israélien concernant les meurtres indiscriminés des civils, considérés comme des « dommages collatéraux », ne résiste pas à l’analyse de la Rapporteuse. En effet, Israël a violé l’exigence juridique de proportionnalité : « en caractérisant l’avantage militaire de chaque attaque visant la destruction de l’organisation du Hamas tant sur le plan politique que militaire. »

Le discours israélien qui qualifie les civils de « boucliers humains » ne résiste pas non plus à l’analyse de la Rapporteuse : « Israël a utilisé la notion de boucliers humains pour justifier ses attaques contre des civils palestiniens et des infrastructures civiles à Gaza ». Cependant, des enquêtes indépendantes et des organisations de défense des droits humains ont souvent remis en question ces allégations, allant jusqu’à conclure que « des preuves de l’utilisation de boucliers humains avaient été fabriquées. »

Le « bouclier médical » évoqué par l’armée israélienne semble servir le même objectif : « L’armée israélienne aurait réorganisé l’armement trouvé à l’Hôpital Al Shifa avant la visite des équipes de presse ». Ce qui a renforcé les soupçons de fabrication de preuves « après que l’armée israélienne ait affirmé qu’une ‘liste de terroristes’ trouvée dans un autre hôpital de Gaza (Al Rantisi) s’est avérée être un calendrier des jours de la semaine en arabe. »

Pour la Rapporteuse, le ciblage des civils en fuite dans les « couloirs humanitaires » semble « avoir été utilisé comme un instrument génocidaire pour réaliser un nettoyage ethnique ».

La Rapporteuse spéciale estime que le contexte, les faits et l’analyse présentés dans son rapport « permettent de conclure qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant qu’Israël a commis un génocide est atteint. » Pire, ces éléments « indiquent également que les actions d’Israël ont été motivées par une logique génocidaire faisant partie intégrante de son projet de colonisation de la Palestine, signe d’une tragédie annoncée. »

Dans ses recommandations, la Rapporteuse spéciale demande entre autres :

– un embargo sur les armes à destination d’Israël ;

– un cessez-le-feu immédiat et durable ;

– la reconstitution du Comité spécial des Nations Unies contre l’apartheid pour traiter de manière globale la situation en Palestine ;

– une présence de protection internationale pour limiter la violence ;

– un financement adéquat de l’UNRWA pour lui permettre de répondre aux besoins accrus des Palestinien·nes de Gaza.

Elle souligne par ailleurs qu’«Israël et les États qui se sont rendus complices de ce que l’on peut raisonnablement considérer comme un génocide doivent être tenus pour responsables et fournir des réparations à la hauteur de la destruction, de la mort et des préjudices infligés au peuple palestinien. »

Elle demande en outre de « veiller à ce qu’Israël, ainsi que les États qui se sont rendus complices du génocide de Gaza, reconnaissent le tort colossal causé, s’engagent à ne pas le reproduire, avec des mesures de prévention, des réparations complètes, y compris le coût intégral de la reconstruction de Gaza (…) »

Dans sa résolution2 adoptée à l’issue de ses délibérations sur ce dossier, le Conseil des droits de l’homme est, entre autres, « gravement préoccupé par les déclarations de responsables israéliens qui relèvent de l’incitation au génocide, et exige qu’Israël assume la responsabilité juridique qui lui incombe de prévenir le génocide et respecte pleinement les mesures provisoires indiquées par la Cour internationale de Justice, le 26 janvier 2024 ». Il condamne « l’utilisation de la famine comme méthode de guerre contre la population civile de Gaza, le refus illégal d’accès humanitaire, l’entrave délibérée à l’acheminement des secours et la privation d’accès des civils aux biens indispensables à leur survie, notamment la nourriture, l’eau, l’électricité, le carburant et les télécommunications, par Israël, puissance occupante ». Il affirme par ailleurs qu’aucun État ne doit reconnaître comme licite une violation grave du droit international, ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation et que tous les États doivent coopérer pour y mettre fin.

Encadré :

Dans le cadre de la 55e session du Conseil des droits de l’homme, le CETIM a donné la parole à Mme Yasmeen El-Hasan, représentante de l’Union des Comités de Travail Agricole (organisation paysanne palestinienne membre de La Via Campesina), qui a évoqué la situation à Gaza où l’accès à l’alimentation, à l’eau et aux soins de santé est utilisé comme une arme par l’armée israélienne.

Lire la déclaration en anglais

Regarder la vidéo de la déclaration orale sous-titrée en français

1 Cf. Anatomy of a Genocide Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, A/HRC/55/73, 25 mars 2024. Rapport disponible uniquement en anglais, les citations sont traduites par nos soins.

2 Cf. A/HRC/RES/55/28, adoptée le 5 avril 2024 par 28 voix pour, 6 contre (Argentine, Bulgarie, Allemagne, Malawi, Paraguay, Etats-Unis) et 13 abstentions (Albanie, Bénin, Cameroun, Costa Rica, République Dominicaine, France, Géorgie, Inde, Japon, Lituanie, Monténégro, Pays-Bas, Roumanie).

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