Avertissement ! la fin du texte met en avant la politique suisse des trois cercles. Celle-ci n’est plus en vigueur à l’heure actuelle.
Monsieur le Président,
“Face au racisme et à la montée des périls qu’il annonce et qu’il précipite, et qu’elle que soit, ici ou là, la complexité des débats ou la confusion des sentiments, ce qui s’impose est une conduite, faite du refus systématique, vigilant, obstiné de toute forme de discrimination, une morale fondée sur la reconnaissance de l’autre comme absolu et qui, à l’indifférence et à la lâcheté, au réalisme de la raison du plus fort, de la raison économique et de la raison d’Etat, à l’exaltation des racines et du sang, à la défense d’une nature ou d’une race celte, nordique, occitane, corse ou française, se doit d’opposer sans relâches les valeurs fondamentales de justice et d’universalité”.
En 1984, c’est ainsi que commençait le second ouvrage du “Genre Humain” (Edition complexe, Paris) consacré à la société face au racisme.
La question est plus que jamais d’actualité et le CETIM (Centre Europe – Tiers Monde) est particulièrement préoccupé par la montée des nationalismes et des partis nationalistes en Europe, qui tablent ouvertement sur le succès de la lutte contre les étrangers pour progresser. Ce ferment de racisme populiste n’est pas assez combattu par les dirigeants politiques, responsables de la cohabitation entre personnes de communautés différentes et de justice sociale, qui ont tendance à donner du crédit aux thèses nationalistes en rendant l’accueil des réfugiés et les conditions de séjour des étrangers toujours plus restrictives.
C’est pour cette raison que le CETIM a essayé d’analyser, dans le discours même de l’Etat démocratique le processus qui malheureusement alimente le racisme. A titre d’exemple, nous prendrons la Suisse tout en signalant que le même type d’analyse peut être fait ailleurs.
De façon expéditive, le 18 mars 1993, le parlement national adoptait la loi appelée “loi sur les mesures de contraintes ” en matière de droit des étrangers. Ces mesures extrêmement violentes de privation et de limitation de la liberté personnelle, fondement des Droits de l’Homme et de la Constitution, s’adressent d’abord à la population vulnérable des requérants d’asile et des étrangers sans papiers. Cela peut donc concerner aussi bien une lingère espagnole d’un Grand-Hôtel de Genève, qu’un requérant d’asile de Bosnie, du Kosovo ou du Rwanda.
Avant de poursuivre, permettez-moi Monsieur le Président, de vous signaler qu’il n’a pas fallu cette législation d’exception pour que la Suisse se donne les moyens de renvoyer le maximum de requérants d’asile. L’office fédéral des réfugiés décidait le ler février de cette année de renvoyer au Zaïre une famille rwandaise, provenant des camps de réfugiés de Goma parce que selon l’article 17 de l’ordonnance sur l’asile, cette famille avait séjourné dans un pays tiers, le Zaïre, avant d’arriver en Suisse. Le cynisme peut avoir des conséquences mortelles. Enfin, l’affaire est suspendue… pour combien de temps…
De fait, cette loi d’exception sur les mesures de contraintes autorise l’Etat helvétique à exercer plusieurs formes de détention qui peuvent facilement être arbitraires et abusives même pour des mineurs dès 15 ans (en violation flagrante avec la Convention internationale relative aux droits de l’enfant).
La publicité étatique pour convaincre le peuple de la légitimité de ses droits s’est fondée sur la lutte contre la drogue et sur la plaie dramatique de ce pays, la scène ouverte de la drogue dans le quartier du Letten à Zürich.
Devant l’incohérence et l’impuissance de notre société à juguler les drames de la toxicomanie, devant l’absence de perspectives explicites, individuelles et collectives, de projet social, etc., il est plus facile de stigmatiser un groupe cible – les étrangers, les requérants d’asile – qui va devenir au cours du temps, avec l’aide d’une certaine presse et de certains débataires, la victime des désespoirs, des impuissances, des impasses plutôt que de se poser les questions de fond dont certes les solutions sont loin d’être faciles à trouver. La peur de l’autre marche bien, le rejet de l’autre fonctionne à merveille, le processus du racisme est en train, alimenté par le discours des plus hauts responsables du pays. Une fois le groupe coupable repéré – et c’est vrai que certains individus tendent la perche aux fabricants de boucs émissaires en recherche – on s’achemine vers la généralisation. C’est bien sûr les étrangers qui sont les pourvoyeurs de drogue, ce sont les clandestins qui sont des parasites à enfermer, à expulser. Tout à coup, l’autre se retrouve coupable des maux qui gangrènent le pays. Quel soulagement, les citoyens sont purs! Il faut faire disparaître l’autre, C’est ce que propose la loi sur les mesures de contraintes – les nationaux se retrouveront purs de criminalité, de drogue… ou presque.
Malgré un référendum lancé par des citoyens suisses réalistes et conscients de l’injustice créée par cette loi et de la nuisance de telles dispositions pour la cohabitation entre communautés, ces mesures de contraintes ont été approuvées par le peuple le 4 décembre de l’année dernière; elles sont entrées en vigueur le ler février 1995. Les étrangers ont une fois de plus été stigmatisés, ils sont, comme l’histoire l’a déjà montré souvent, de bons boucs émissaires.
De fait, cette loi n’est que le xème acte joué par les responsables politiques et certains partis nationalistes pour le contrôle et contre la présence des étrangers. On peut dire que dès la première guerre mondiale, la Suisse a abandonné sa politique libérale à l’égard des étrangers aussi nombreux qu’aujourd’hui pour construire une représentation collective avant tout négative du non-national. Depuis cette époque, toute l’histoire suisse est jalonnée de lois de plus en plus restrictives concernant les étrangers et les requérants d’asile et de multiples ordonnances fédérales. La prolifération d’ordonnances fédérales sur les étrangers est ce qui éloigne le plus la police des étrangers suisse de cet Etat de droit que la Confédération se vante volontiers d’être ” écrit un juriste helvétique. Et les instruments démocratiques comme le droit d’initiative sont utilisés beaucoup plus souvent en Suisse pour contrôler, renvoyer, limiter les étrangers (les trop célèbres initiatives xénophobes) que pour proposer des mesures d’intégration.
La généralisation, la hiérarchisation des différentes provenances des étrangers, la hiérarchisation des origines culturelles, la hiérarchisation des différences religieuses sont autant de causes à la naissance et à l’actualisation du racisme. C’est pourtant sur des bases discriminatoires que l’Etat suisse a construit son actuelle politique migratoire. Il a divisé le monde en trois cercles (le premier pour une partie des pays européens, le second pour les autres pays industrialisés d’obédience occidentale et le troisième pour le reste du monde) et il distingue certains pays en leur accordant un traitement particulier parce qu’ayant “une culture marquée par les idées européennes au sens large du terme et dans lesquels les conditions de vie sont similaires aux nôtres”. On peut sentir derrière cette politique l’affirmation que certains groupes humains ne pourraient pas co-habiter avec les nationaux, du fait d’une différence culturelle.
On voit que la règle du jeu proposée par l’Etat est celle de la fermeture, plus, celle de la discrimination et de la hiérarchisation; critères sur lesquels le racisme se construit. Le discours devient plus ambigu quand ce même Etat soutient trois mois plus tôt la ratification de la Convention internationale de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Peut-on voir là autre chose qu’un geste politique d’apaisement envers l’Europe que le peuple suisse refuse encore?
Le 24 septembre 1994, le peuple suisse a une très courte majorité a rejeté le référendum des nationalistes voulant annuler la ratification du parlement. Pourtant les mesures qui devraient suivre la ratification ont de la peine à se mettre en place et les premières dispositions à prendre seraient justement celles qui permettraient de modifier l’esprit et les directives qui règlent aujourd’hui la politique à l’égard des étrangers et des réfugiés. Tant que l’Etat fait de tout immigré, de tout réfugié un suspect, pourquoi pas un délinquant potentiel, les vannes du racisme sont ouvertes.
Pour conclure, Monsieur le Président, les propositions du CETIM s’adressent à la Suisse et aux autres Etats européens: si la volonté de lutter contre le racisme et de le prévenir est sincère, les Etats doivent modifier considérablement leur façon de gérer la question des étrangers et des réfugiés. Pourtant la mise en place des accords de Schengen tendent plutôt à nous amener vers une forteresse européenne. Aujourd’hui, les Etats gèrent cette question sur le mode du contrôle et de la sanction. Leur politique migratoire lorsqu’elle est basée sur la discrimination, ce qui est en contradiction avec la Convention de l’ONU sur toutes les formes de discrimination raciale, doit se modifier. Les Etats doivent résister aux forces nationalistes et au populisme électoraliste pour affirmer qu’aujourd’hui, notamment dans la plupart des pays d’Europe, la paix ne peut être sauvée ou se retrouver que dans l’acceptation de la diversité ethnique, culturelle, nationale. Ce qu’on appelle à tort, c’est une fiction pour laquelle on va jusqu’à se tuer, pureté nationale, pureté ethnique, pureté linguistique, pureté culturelle pour ne pas dire raciale, est germe de racismes comme l’est également l’injustice et la marginalisation sociale. Les Etats le savent. Mais le CETIM pense qu’aujourd’hui il est bon de le leur rappeler.
Merci de votre attention Monsieur le Président.