Selon des chiffres officiels, le Mexique compte huit millions d’autochtones (10 % de la population totale du pays). Cependant, d’après d’autres estimations provenant de sources autochtones et de diverses études, le nombre des autochtones répartis sur de vastes régions du territoire mexicain, partageant la même identité socioculturelle et notamment la langue, s’élève à 15 millions. Ces peuples sont essentiellement concentrés dans les États de Oaxaca, Veracruz, Chiapas, Puebla, Yucatán, Hidalgo et Guerrero, où ils représentent souvent plus des deux tiers de la population.
La situation dans laquelle se trouvent les peuples indigènes depuis l’invasion espagnole se caractérise par la soumission et l’oppression politique, sociale et culturelle, assorties de conditions inhumaines : marginalisation, misère et extrême pauvreté couplées à l’analphabétisme, de forts taux de mortalité infantile et, chez les adultes, la malnutrition, le chômage, la promiscuité, l’usurpation de terres. Tels sont, entre autres, les éléments qui constituent, pour l’essentiel, l’environnement des descendants des premiers habitants du territoire mexicain.
La situation décrite très sommairement ci-dessus tient à de multiples causes qui sont liées. Il est possible, toutefois, d’en identifier au moins deux. La première et la plus fondamentale à prendre en compte est celle qui tient à l’idée que l’on se fait des autochtones depuis l’époque de la colonisation, idée qui a encore cours de nos jours : au Mexique, comme sur le reste du continent américain, les autochtones sont considérés comme des êtres n’ayant pas toutes leurs facultés, ni le plein usage de la “raison”, et ne sont donc pas jugés “aptes” à décider de leur propre destin. Partant du principe de cette aliénation, l’État leur dénie la capacité de se gouverner selon leurs propres usages et coutumes, de faire des choix politiques, de s’occuper de leurs affaires et de gérer leurs ressources. Par conséquent, l’État mexicain et la société dans son ensemble ne reconnaissent pas les autochtones comme sujets de droit, ni comme citoyens, et les droits collectifs des populations autochtones sont déniés.
Aussi pouvons-nous affirmer que tant qu’il n’y aura pas adéquation entre la Constitution mexicaine et l’ordre juridique en vigueur avec la réalité pluriculturelle du pays garantissant la reconnaissance et le plein exercice des droits des peuples autochtones, il sera difficile, en tout état de cause, de parler de la mise en oeuvre des droits civils et politiques de ces peuples.
C’est pourquoi nous énumérons ci-après une série de recommandations visant à mettre en place un processus propre à améliorer la situation des peuples autochtones du Mexique :
1. L’État mexicain doit se conformer aux normes juridiques internationales auxquelles il a, à juste titre, adhéré, notamment la Convention No 169 de l’OIT, la Convention sur la diversité biologique, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
2. L’État mexicain doit examiner les projets qui supposent un progrès en matière de reconnaissance des peuples autochtones comme le Projet de Déclaration universelle sur les droits des peuples autochtones et le Projet de Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones, entre autres.
3. L’État mexicain doit veiller à ce que les Accords de San Andrés relatifs aux droits et à la culture des autochtones, signés en 1996 entre l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et le gouvernement fédéral entrent en vigueur et que tout rentre dans l’ordre.
4. L’État mexicain doit s’employer à mettre fin à la militarisation croissante des régions du pays qui comptent le plus d’autochtones, comme c’est le cas pour les États de Oaxaca, Chiapas et Guerrero.
5. L’État mexicain doit agir et, pour ce faire, adopter des mesures concrètes pour enquêter sur les graves violations des droits de l’homme dont sont victimes les communautés autochtones sous la coupe de groupes paramilitaires et mettre un terme à l’impunité qui règne dans les zones qui connaissent des conflits semblables (essentiellement le Chiapas, Guerrero et Oaxaca).
6. L’État mexicain doit rendre possible le processus de construction de l’autonomie que poursuivent les peuples indigènes à quelque niveau que ce soit, en tant qu’exercice du droit à l’autodétermination, qui suppose que soient réunis au moins quatre éléments essentiels, à savoir :
a) Une base politico-territoriale;
b) Une juridiction propre, correspondant au domaine territorial indiqué, dans le ressort de laquelle s’exercerait le pouvoir et la justice serait rendue;
c) Un autogouvernement ou un gouvernement autonome;
d) Des compétences ou des facultés propres, exclusives ou partagées avec d’autres instances du gouvernement (fédéral, ou de l’État) qui donnent forme à la décentralisation politique indissociable de tout régime d’autonomie; tous ces éléments seraient consacrés par la Constitution et réglementés par des lois dans le cadre juridique de l’État.
7. L’État mexicain doit tenir compte des différentes prises de position de la communauté internationale, du Parlement européen, du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, des organismes internationaux de défense des droits de l’homme et d’autres organismes, en ce qui concerne la situation que vivent les peuples autochtones du Mexique.
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La situation actuelle des États comptant des communautés autochtones et, par voie de conséquence, celle du reste des États de la République mexicaine s’est récemment détériorée comme ont pu en juger différentes institutions et divers organismes de la société civile mexicaine et internationale. Lors de sa seconde visite au Mexique, du 15 au 25 novembre, la Commission civile internationale d’observation des droits de l’homme (CCIODH), composée de 40 personnes venant de 10 pays, qui a rencontré tous les acteurs du conflit (gouvernement, société civile et communautés autochtones en lutte, au Chiapas essentiellement), a pu constater une détérioration de la situation de la population autochtone ainsi qu’une détérioration des conditions de vie et une aggravation des violations des droits de l’homme.
La situation des quelque 20 000 personnes déplacées pour cause de violence paramilitaire qui vivent dans des camps, hors de leurs villages et de leurs terres sans pouvoir retourner dans leurs foyers, après avoir fui deux ans durant, harcelées par les militaires et victimes de la violence paramilitaire qui les empêche de retourner chez eux, est devenue insoutenable. Certains ne s’alimentent que grâce à l’aide internationale fournie par la Croix-Rouge internationale et sont abandonnés à leur sort.
L’impunité est totale, suscitant crainte et terreur au sein des communautés. À cause d’elle, par exemple, la plupart des assassins d’Acteal sont toujours en liberté et se promènent armés dans les communautés, où ils intimident les survivants, les instigateurs du massacre n’ont été ni poursuivis ni jugés et les groupes paramilitaires poursuivent leur activité.
Du fait de la présence de plus de 70 000 soldats au Chiapas, dont le nombre et les installations s’accroissent avec le temps, la vie quotidienne des communautés se dégrade : barrages, occupation des terres, ingérences contre leurs autorités traditionnelles, entraînant arrestations et incarcérations.
Toutes ces observations sont étayées par des témoignages inclus dans le rapport qui a été remis le 14 décembre au Parlement européen par une délégation de la CCIODH qui est convaincue que la vigilance et la présence d’observateurs internationaux chargés de veiller au respect des droits de l’homme jouent un rôle fondamental dans la mise en oeuvre des accords signés par le Gouvernement mexicain et dans l’élaboration, avec la participation de la société civile tant mexicaine qu’internationale, d’instruments réguliers, stables et efficaces qui contribuent à les faire appliquer.
Les expulsions d’observateurs internationaux et les menaces dont sont l’objet les ONG mexicaines sont en train d’éliminer les témoignages qui donnent la parole aux victimes de ces violations et démontrent, de la part du Gouvernement mexicain, un manque de volonté (dénoncé par divers forums et diverses institutions), d’appliquer les accords dans la transparence et la confiance.
Il est indispensable que les Accords de San Andrés soient adoptés et traduits en droit par le biais d’une réforme constitutionnelle conformément au projet élaboré par la COCOPA (Commission pour la concorde et la pacification) pour que s’ouvre le dialogue en vue de trouver une solution pacifique, juste et digne au conflit.
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Comme il est précisé dans un document1 présenté devant le Comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels. Octobre 1999. élaboré par diverses organisations civiles et sociales mexicaines dans le cadre de l’examen du troisième rapport périodique du Gouvernement mexicain (1992-1996) :
“Notre pays connaît une grave détérioration des conditions générales de vie d’un nombre sans cesse croissant de Mexicains et de Mexicaines, due en grande partie aux politiques d’ajustement structurel qui ont été menées au cours des 17 dernières années et qui placent la stabilité des indicateurs macroéconomiques et du marché avant le bien-être de la population. Cette détérioration s’est accentuée depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1994. Il est évident que ces politiques – dans leur conception, dans leur mise en oeuvre et dans leurs conséquences – ont prouvé qu’elles étaient incompatibles avec les objectifs et l’esprit du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, étant donné qu’elles ne font qu’aggraver les inégalités économiques et sociales au sein de la population.”
Les politiques de répartition des dépenses sociales qui orientent les programmes nationaux de lutte contre la pauvreté mis en oeuvre ces dernières années sont source d’exclusion, ont uniquement un caractère d’assistanat et jouent le rôle de palliatifs; il n’existe pas de propositions visant à trouver un remède aux causes structurelles de la pauvreté. Les programmes de cette nature – par exemple, le Programme d’éducation, de santé et d’alimentation (PROGRESA) que mentionne le Gouvernement mexicain dans son troisième rapport au Comité – servent des fins politiques et électorales, accentuant la discrimination et nuisant à la construction d’un système réellement démocratique, indispensable au développement social.
La pauvreté touche plus fortement la population qui vit dans les zones rurales, particulièrement les autochtones mexicains, hommes et femmes, dont le nombre est supérieur à 10 millions. Il est inacceptable que certains des États qui possèdent les plus grandes richesses naturelles et culturelles du Mexique (comme le Chiapas, Guerrero, Oaxaca, Veracruz, entre autres) aient les taux les plus élevés de pauvreté et de marginalisation du pays. C’est pire toutefois dans les communautés où persiste une violence institutionnelle : les droits de l’homme y sont systématiquement violés et l’impunité y est générale depuis de nombreuses années au Chiapas par exemple. Cette situation s’est encore aggravée depuis le conflit armé de 1994.