La crise actuelle des matières premières agricoles touche très durement les plus pauvres de notre planète1. Les prix des céréales sur le marché mondial ont augmenté de manière vertigineuse depuis une année : le blé de 130%, le riz de 80%, le maïs de 35%2.
Cette crise n’a pas une seule cause. Elle est le résultat conjugué de nombreuses années de dérégulation des marchés agricoles, de privatisation des mécanismes publics de régulation et du dumping des produits agricoles sur les marchés (principalement dans les pays en développement). Le développement commercial des agrocarburants n’arrange rien à l’affaire. Cette production exerce une forte pression sur les terres cultivables et les réserves aquifères. De plus, dans de nombreux pays du Sud, des centaines de milliers d’hectares destinés à l’agriculture sont désormais convertis de manière incontrôlée en soi-disant « zones de développement économique »3, espaces urbains et projets d’infrastructures. L’accaparement continuel des terres par les transnationales et par d’autres spéculateurs, expulsera des millions d’autres paysans et paysannes qui se retrouveront dans des mégapoles, relégués aux rangs des affamés et des pauvres dans les bidonvilles. En outre, nous devrons nous attendre, en particulier en Afrique et en Asie du Sud, à de plus graves sécheresses et inondations causées par les changements climatiques. Ces menaces sont graves autant en zones rurales qu’en zones urbaines.
Ce sont des développements très inquiétants qui nécessitent une action active et urgente! Nous avons besoin d’un changement fondamental dans l’approche de la production alimentaire et des marchés agricoles !
Il est temps de reconstruire des économies alimentaires nationales !
La reconstruction d’économies alimentaires nationales nécessite des engagements politiques immédiats et à long terme de la part des gouvernements. La priorité absolue doit être accordée à la production alimentaire nationale, afin de diminuer la situation de dépendance vis à vis des marchés internationaux. Les paysans, les paysannes et les petits agriculteurs doivent être encouragés à produire grâce à des prix équitables pour leurs produits agricoles et des marchés stables, afin qu’ils puissent alimenter leurs communautés. Les familles sans terre des zones rurales et urbaines doivent obtenir un accès à la terre, aux semences et à l’eau, pour pouvoir produire leur propre nourriture.
Cela signifie une augmentation des investissements dans la production alimentaire basée sur l’agriculture paysanne et destinée prioritairement aux marchés locaux et nationaux.
Les gouvernements doivent soutenir financièrement les populations les plus pauvres afin de leur permettre de se nourrir convenablement. La spéculation et les prix extrêmement élevés imposés aux consommateurs par les commerçants et les détaillants doivent être contrôlés. Les paysans, paysannes et les petits agriculteurs ont besoin d’un meilleur accès à leurs marchés nationaux afin qu’ils puissent vendre des denrées alimentaires à des prix justes pour eux-mêmes et pour leurs concitoyens.
Les pays ont besoin de mettre en place des mécanismes d’intervention visant à stabiliser les prix du marché. Pour atteindre cet objectif, des contrôles à l’importation avec des taxes et des quotas sont nécessaires, en vue d’éviter des importations à bas prix minant la production locale. Des stocks régulateurs nationaux gérés par l’Etat doivent être mis en place pour stabiliser les marchés nationaux: en période d’excédents, les céréales peuvent être retirées du marché pour constituer les stocks de réserve afin d’être redistribuées en cas de pénuries.
Réglementation des marchés internationaux et aide aux pays pour renforcer leur production alimentaire
Au niveau international, des mesures de stabilisation doivent également être prises. Des stocks régulateurs internationaux doivent être créés et un mécanisme d’intervention doit être mis en place afin de stabiliser les prix sur les marchés internationaux à un niveau raisonnable. Les pays exportateurs doivent accepter le principe de la mise en place de règles internationales de contrôle des quantités qu’ils peuvent mettre sur le marché, afin d’empêcher le dumping. Le droit de contrôler les importations, de mettre sur pied des programmes pour soutenir les populations les plus pauvres, de mettre en oeuvre une réforme agraire et d’investir dans la production alimentaire basée sur l’agriculture paysanne nationale doit être pleinement restauré, respecté et soutenu au niveau international.
Dans ce contexte, le développement des agrocarburants à travers le monde comme solution à la raréfaction des ressources fossiles est une chimère car il n’est pas dans sa forme actuelle une alternative viable et réelle aux combustibles fossiles et ne permettra pas de réduire le réchauffement climatique. Au contraire, cette production met gravement en danger la fonction traditionnelle de l’agriculture -soit fournir des biens alimentaires aux hommes et animaux- en accaparant non seulement des terres et en poussant à la destruction des forêts primaires, etc., mais aussi en détournant de la chaîne alimentaire des matières premières essentielles à la vie au profit de l’industrie automobile4.
La promotion des cultures OGM constitue une autre fausse solution à la crise alimentaire, étant donné qu’elles ne respectent pas le principe de précaution et que les premières études sur cette question indiquent le danger d’effets négatifs irréversibles sur la nature (sur la biodiversité en particulier) et que ces cultures ne sont même pas fiables au niveau économique.
Consensus au niveau international ?
Lors de la Conférence internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural (CIRADR), une large majorité de gouvernements a reconnu et a convenu de l’importance du développement rural et de la réforme agraire en vue de combattre la pauvreté et la famine dans les campagnes. L’Evaluation Internationale des Sciences et Technologies Agricoles au service du Développement (EISTAD), qui est une évaluation du secteur agricole et qui a impliqué des organisations de la société civile, le secteur privé, des gouvernements, ainsi que la FAO et la Banque Mondiale, en est venue à la conclusion que l’agriculture industrielle et la dépendance croissante des paysans, paysannes et des petits agriculteurs à l’égard des trusts sont au cœur du problème. Ils ont également conclu que l’agriculture paysanne durable doit être soutenue et renforcée. Le Fonds International de Développement Agricole (FIDA) reconnaît aussi le rôle majeur des paysannes et des petits agriculteurs dans la production des denrées alimentaires.
A ce propos, il faut préciser que, comme dans le passé, les paysans et les petits agriculteurs sont capables de nourrir le monde. Ils doivent être l’élément clé de la solution. Avec une volonté politique suffisante et la mise en oeuvre de politiques adéquates, davantage de paysans et d’agriculteurs, d’hommes et de femmes, pourront facilement produire assez de denrées alimentaires pour nourrir la population croissante. La situation actuelle montre que des changements sont nécessaires !
Pour cela, les Etats doivent s’engager clairement en faveur de la souveraineté alimentaire. Comme le décrit si bien le mouvement international paysan La Vía Campesina, la souveraineté alimentaire : « c’est le droit pour tout pays ou ensemble de pays à définir sa politique agricole et alimentaire dans l’intérêt de son peuple, à protéger ses paysan(ne)s et producteurs agricoles et ses marchés locaux du dumping et des importations agricoles et alimentaires à trop bas prix, afin que ceux-ci parviennent à satisfaire durablement les besoins d’une alimentation saine, sûre, culturellement acceptable et écologiquement cultivée ; et soit de même le socle pour une rémunération équitable aux paysan(ne)s et aux producteurs agricoles locaux .»
RECOMMANDATIONS
Au vu de ce qui précède, les gouvernements des pays industrialisés (du Nord comme du Sud) doivent arrêter la promotion des agrocarburants car ceux-ci ne sont pas actuellement une solution viable économiquement et écologiquement.
Ces pays doivent analyser de manière critique leurs propres politiques agricoles, ils doivent prendre des initiatives afin de faire cesser la volatilité des marchés internationaux et ils doivent soutenir financièrement l’agriculture, non pas l’agro-industrie mais une production alimentaire basée sur l’agriculture familiale durable. Ils doivent cesser d’apporter toute aide, directe ou indirecte, à l’exportation des produits agricoles à des prix de dumping. Des mécanismes de contrôles internationaux de la Bourse de Chicago, qui fixe le prix des céréales, doivent être mis en place.
Les gouvernements des pays industrialisés doivent arrêter et annuler tout accord de libre échange contribuant uniquement à la destruction de la production alimentaire dans les pays en développement et bloquant toute possibilité de développement autonome.
L’influence des sociétés transnationales et des intérêts spéculatifs financiers sur le marché des produits alimentaires doit être maîtrisée. La nourriture est trop importante pour être laissée entre les mains de ces entreprises.
Un accord possible du Cycle de Doha de l’Organisation mondiale du Commerce se traduira par un autre coup dur pour la production alimentaire agricole. Les gouvernements du G77 doivent évaluer à nouveau les négociations de l’OMC sur l’agriculture et rejeter tout accord ayant des incidences négatives sur la production alimentaire domestique et ne permettant pas que soient prises toutes les mesures nécessaires au renforcement de la production alimentaire et à l’accroissement de l’autosuffisance nationale.
Dans ce cadre, la FAO, sur la base de son mandat, doit prendre l’initiative de créer l’environnement politique pour un changement fondamental au niveau des politiques agricoles et alimentaires.
Quant au Conseil des droits de l’homme, il pourrait recommander à l’Assemblée générale de l’ONU de décréter un moratoire, d’un minimum de cinq ans, sur les cultures OGM ainsi que sur la fabrication des agrocarburants afin de faire un bilan.