Le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) souhaite faire part à la Sous-Commission des ces préoccupations concernant la situation alarmante des droits de l’homme au Brésil et notamment pour les habitants du monde rural.
Le Brésil est un pays de 165 millions d’habitants ; cela représente la cinquième population du monde ainsi que le cinquième territoire national. Le pays dispose d’immenses ressources naturelles, mais il reste encore considéré aujourd’hui comme « le pays du futur », car il n’arrive pas à assurer une vie digne à la majorité de ses citoyens.
500 ans après le début de la colonisation par les Portugais, le pays vit encore la mémoire honteuse du génocide de plus de cinq millions d’autochtones, de l’esclavage de 2,5 millions de noirs africains et la brutale répression sur des millions de travailleurs et paysans qui ont lutté pour leurs droits. Si le passé est un motif de honte, le présent l’est encore davantage : 3,2 millions d’enfants travailleurs ne vont pas à l’école ; 50 millions de Brésiliens survivent avec moins de US$ 2 par jour ; 30 millions de Brésiliens sont analphabètes ; 10 millions de personnes sont au chômage et 4 millions de paysans n’ont pas de terres ; 100 mille personnes sont exploitées dans un travail à des conditions qu’on peut qualifier d’esclavagistes ; 60 millions de Brésiliens vivent précairement sans accès à des installations d’assainissement.
Le projet national d’intégration des populations pauvres a été abandonné par les gouverneurs. La réalisation de la réforme agraire, génératrice d’emploi, de citoyenneté et démocratie n’est visiblement pas une priorité pour les dirigeants du pays, malgré l’augmentation de la misère pour le peuple et de l’accroissement de la violence.
Le modèle économique adopté notamment par l’actuel gouvernement du Président Fernando Henrique Cardoso, totalement subordonné au capital financier international, ne permet pas un développement économique plus juste. En effet, la concentration du revenu s’est accrue, la pauvreté également. En empêchant un processus de distribution des revenus et des richesses et le développement d’un marché interne, ce modèle a complètement marginalisé l’agriculture.
Le résultat de cette politique est visible, autant dans les rues que dans les statistiques : l’aire cultivée a diminué de 8 millions d’hectares ; le pays a dû importer US$ 6,8 milliards de dollars en produits agricoles tandis que les investissements dans l’agriculture n’ont atteint que US$ 4 milliards (contre US$ 19 milliards pendant la période 1975-79). La production per capita de grains est tombée de 522,15 kg en 1995 à 503 kg en 1999. Le revenu moyen a diminué de 46%. Ces 10 dernières années, 942 mille petites exploitations (de moins de 100 hectares) ont fait faillite ; 2 millions de travailleurs ruraux ont perdu leur emploi au cours des cinq dernières années. Des millions de personnes sont encore et toujours obligées de migrer vers les grandes villes.
Il est évident que, dans ce contexte, une politique sérieuse de réforme agraire, qui démocratise véritablement la propriété de la terre, serait indispensable. La politique de compensation sociale telle qu’elle a été menée depuis 1995 par le gouvernement ne suffit pas et est largement contestée. Celle-ci a installé des familles sur des lopins de terres pour la plupart dans les régions du centre-ouest et du nord du pays (c’est le cas de 65% des familles assentadas). Dans ces régions, l’expropriation de terres est synonyme d’affaires suspectes avec les grands propriétaires. De plus, alors que toute aire de réforme agraire a été durement conquise par la lutte organisée des travailleurs ruraux, ces initiatives sont amplement diffusées comme une action gouvernementale.
Ne défendant pas les revendications légitimes des travailleurs sans terre, le gouvernement a compté sur la Banque Mondiale pour développer une nouvelle stratégie de démobilisation des mouvements sociaux et syndicaux de la campagne avec le programme Cédula da Terra et la création de la Banque des Terres (Banco da Terra), deux formes institutionnelles d’une réforme agraire qui se soumet aux lois du marché. Ces deux programmes, composants de la nouvelle politique appelée « Nouveau Monde Rural » annulent deux des principales conquêtes sociales inscrites dans la Constitution Fédérale : l’exigence de l’accomplissement de la fonction sociale de la propriété et l’expropriation. Les données démontrent que ces programmes ont pour but de remplacer l’expropriation par le marché, dominé par les grands propriétaires, traditionnels spéculateurs de la terre, sans la médiation de l’Etat et sans aucune restriction par rapport à la fonction sociale.
Dans les cinq états brésiliens où le Cédula da Terra a été implantée, les prix payés aux fermiers étaient toujours sur valorisés et les terres acquises étaient les plus mauvaises. Les travailleurs ruraux se sont vus obligés de créer des associations hiérarchisées, et celles-ci dépendaient encore plus des oligarchies locales ; l’endettement des paysans est très sérieux et l’on envisage leurs faillites dans quelques années. Ainsi, ces deux programmes assurés par un milliard de dollars de la Banque Mondiale feront augmenter encore plus la pauvreté dans les milieux ruraux brésiliens.
Dans cette même période, on voit que le budget proposé par les techniciens de l’Institut National de la Colonisation et la Réforme Agraire (INCRA) de R$ 2,5 milliards pour 1999 a été amputé par le Congrès, le réduisant à R$ 1,9 milliard. Suite aux accords avec le FMI, ce budget a encore été diminué à R$ 1,2 milliard. Cependant, durant l’année, le gouvernement n’a autorisé l’utilisation que de 30% de ce montant, rendant impossible la réalisation d’une politique qui exige au moins R$ 8 milliards par année.
Le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre – MST, qui organise près de 370 mille familles (ca. 2 millions de personnes) dans tout le pays, souffre d’une dure répression de la part du gouvernement. Pendant que 2’800 enseignants formés par les écoles du MST instruisent 110 mille enfants et 20 mille adultes analphabètes dans les aires de réforme agraire ; que 81 coopératives et 45 agro-industries gérées par les travailleurs (aussi formés par le MST) fonctionnent et que ces familles présentent un revenu mensuel moyen supérieur à la moyenne nationale, le gouvernement a fait renaître une loi de la dictature destinée à poursuivre et emprisonner les opposants au régime (la Loi de Sécurité Nationale LSN –Loi nr. 7.170/83). Le gouvernement prétend notamment emprisonner ceux qui occupent des terres publiques, et les exclure de toute politique de réforme agraire. Or, le Tribunal Supérieur de Justice a fait savoir en 1997 (Habeas corpus nr. 5547/SP – 97.0010236-0, rapporteur : Ministre Luiz Vicente Cernicchiaro) que « le Mouvement populaire visant implanter la réforme agraire ne peut être considéré comme un crime contre le patrimoine. Il s’agit d’un droit collectif, l’expression de la citoyenneté visant à implanter un programme inhérent à la Constitution de la République » et que « le maintien de leaders du Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST) sous garde à vue préventive, avec inculpation de formation de bande, désobéissance, spoliation de possessions s’inscrit en contradiction avec le précepte énoncé par l’article 5è, LXVI de la Constitution » (Habeas corpus nr. 9896/PR – 99.0055128-1, président et rapporteur Ministre Vicente Leal, 1999).
En dépit des efforts continus des travailleurs ruraux pour conquérir collectivement leurs droits de citoyens, ils sont confrontés à une violence extrême, tant par les milices armées des grands propriétaires que par les forces policières de l’Etat au service des latifundias. Depuis 1995, 1’169 travailleurs ou leurs défenseurs ont été assassinés ; seulement 58 accusés furent jugés, 4 sont en prison et 7 sont des fugitifs. L’impunité est la règle, et la plupart des morts se trouvent du côté des misérables en quête de leurs droits essentiels.
Cette violence trouve son expression la plus forte actuellement dans l’état du Paraná, au sud du pays, où la répression contre les travailleurs s’approche de la barbarie : les délogements d’occupations illégales sont effectuées avec une extrême violence par des policiers cagoulés pendant la nuit, fortement armés, qui terrorisent et blessent les enfants, les femmes, etc. La torture sur des centaines de travailleurs arrêtés illégalement est à dénoncer également. L’impunité sévit, même si les meurtriers de travailleurs sont connus ; des menaces de mort à l’encontre de travailleurs et de leurs défenseurs sont proférées (voire le cas de l’avocat de la Commission Pastorale de la Terre, Darci Frigo, actuellement sous protection policière). On doit également dénoncer ici l’écoute téléphonique des bureaux et coopératives du MST et l’assassinat le 2 mai 2000 du travailleur Antonio Tavares Pereira par la Police Militaire qui, elle, limitait le droit d’aller et venir des travailleurs en les empêchant d’entrer dans la capitale Curitiba. Le Président a déclaré qu’il s’agissait d’un avertissement pour ceux qui ne respectaient pas « l’ordre démocratique ». Dans cette opération, environ 150 personnes ont été blessées par les policiers armés de bombes de gaz, accompagnés de chiens, équipés de mitraillettes, de balles en caoutchouc et en métal. Les images des policiers frappant avec des bâtons sur des personnes âgées, des enfants et des adultes, qui voulaient revendiquer des crédits bloqués, ont choqué la société brésilienne, qui se soucie de plus en plus des dérives antidémocratiques du gouvernement.
Au vu de tout ce qui précède, le Centre Europe-Tiers Monde demande à la Sous-Commission de la promotion et la protection des droits de l’homme de recommander à la Commission des droits de l’homme de prendre toutes les mesures appropriées concernant les violations graves des droits humains au Brésil lors de 57ème session.