Monsieur le Président,
Depuis plusieurs années, l’Association Américaine de Juristes (AAJ) et le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) suivent attentivement l’évolution du dossier des sociétés transnationales (STN) au sein de la Sous-Commission. A ce titre, nos deux organisations sont vivement préoccupées par le fait que le Groupe de Travail sur les STN focalise son attention uniquement sur le projet de M. Weissbrodt.
En effet, le mandat de ce Groupe ne se résume pas à l’étude du projet en question, mais il consiste avant tout à étudier l’impact des activités et des méthodes de travail des STN sur la jouissance de tous les Droits de l’Homme. Il est évident que sans une étude approfondie préalable sur la nature des violations des Droits de l’Homme perpétrées par les STN, le Groupe de Travail ne peut proposer de remèdes adéquats. Malheureusement, depuis trois ans le Groupe de Travail est amené à s’occuper des multiples versions du projet de M. Weissbrodt, omettant de facto de remplire son mandat.
S’agissant de la nouvelle version du projet de M. Weissbrodt intitulé : ‘’Principes et responsabilités en matière des Droits de l’Homme à l’intention des sociétés transnationales et autres entreprises industrielles ou commerciales‘’ (cf. E/CN.4/Sub.2/2002/WG.2/WG.1 et E/CN.4/Sub.2/2002/WG.2/WG.1/Add.2), nous formulons les critiques fondamentales suivantes, lesquelles bénéficient à ce jour de l’appui de plus de 60 ONG et mouvements sociaux, tels que syndicats et organisations paysannes de divers continents, dont vous trouverez la liste en annexe de la présente intervention.
Par la nouvelle version de son projet, M. Weissbrodt tente de dénaturer le mandat du groupe de travail, car il n’est pas ici question de s’occuper de n’importe quelle entreprise nationale (par exemple cordonnier ou boulanger de quartier), mais bien des STN qui, en tant que phénomènes mondiaux spécifique, ont une énorme importance économique, sociale et politique et un effet évident sur la jouissance des Droits de l’Homme dans le monde entier. Pourtant, M. Weissbrodt a inclus dans son projet non seulement les STN mais en plus les ‘’other business enterprises‘’. Il définit les ‘’other business enterprises‘’comme suit, je cite : ‘’any business entity, regardless of the international or domestic nature of its activities‘’ (cf. paragraphe 20 du document E/CN.4/Sub.2/2002/WG.2/WG.1). Bien entendu, on ne peut pas comprendre cette définition comme se référant seulement aux filiales ou aux entreprises sous-traitantes des sociétés transnationales (qui font sans aucun doute partie de l’objet d’étude du Groupe de Travail) mais au contraire comme se référant à n’importe quel type d’entreprise qui agit dans un cadre national et ceci quelle que soit sa dimension.
M. Weissbrodt veut attribuer aux normes nationales et internationales en vigueur un rôle subordonné et secondaire et, de fait, ignorer leur caractère obligatoire pour les STN.
M. Weissbrodt cherche à attribuer aux cadres et aux travailleurs des entreprises des responsabilités en cas de violation des Droits de l’Homme (cf. avant dernier paragraphe du Préambule du projet, E/CN.4/Sub.2/2002/WG.2/WG.1). Inclure les travailleurs (qui n’ont pas de pouvoir de décision au sein des entreprises et qui, fréquemment, n’ont même pas de pouvoir de négociation) parmi les responsables est une manière de dévier la question de la responsabilité civile et pénale des sociétés transnationales (personnes juridiques) et des dirigeants de celles-ci (personnes physiques). Veut-on rendre responsable de leurs affections pulmonaires les jeunes femmes qui travaillent dans des conditions de semi-esclavage pour les sous-traitants de Nike dans certains pays d’Asie ? Ou veut-on rendre les employés d’Enron, qui ont perdu leur travail et leur caisse de retraite, responsables des activités délictueuses des dirigeants de l’entreprise ?
M. Weissbrodt tente de privilégier les initiatives privées (codes de conduite volontaires) et attribuer à l’Etat un rôle secondaire dans l’application des normes.
M. Weissbrodt se défend d’offrir aux STN un encadrement juridique de caractère non-contraignant. Comme les normes qu’il cite ont déjà un caractère obligatoire pour toute personne, y compris les STN, la seule question qui se pose est de dégager les moyens politiques et juridiques à même de contraindre les STN à respecter les Droits Humains et de les sanctionner en cas de violation. Pourtant Mr Weissbrot dispense les STN de cette obligation en renvoyant à l’élaboration (forcément longue et aléatoire) de procédures d’application aux STN qui seront essentiellement privées et volontaires (auto-contrôle de celles-ci ou effectué par des entreprises consultantes engagées par les même transnationales, etc.).
Dans une brochure publiée cette semaine et intitulée : ‘’L’ONU fera-t-elle respecter les normes internationales en matière de Droits de l’Homme aux sociétés transnationales ?‘’, disponible en français, en anglais et en espagnol, l’AAJ et le CETIM tentent de répondre à la question suivante : de quelle manière peut-on, dans le cadre des normes nationales et internationales en vigueur, rendre effectif l’encadrement juridique des STN ainsi que de leur dirigeants et les sanctionner en cas de transgression de ces normes ?
Un résumé de nos réflexions sur les STN figure dans deux déclarations conjointes, cosignées par 13 ONG, soumises à la 54ème session de la Sous-Commission de la promotion et la protection des Droits de l’Homme et portent la cote respectivement E/C.4/Sub.2/2002/NGO/9 et E/C.4/Sub.2/2002/NGO/10.
Merci de votre attention.