Violation du droit à l’alimentation et du droit à la santé des populations affectées par la catastrophe de Tchernobyl, en Ukraine, dans la Fédération de Russie et en Biélorussie

11/11/2008

Résumé du problème
Depuis la catastrophe de Tchernobyl, entre 5 et 8 millions de personnes en Biélorussie, en Ukraine et dans la Fédération de Russie continuent à vivre dans des régions qui restent hautement contaminées1. Jusqu’à 90 % de la dose de radiation reçue par les populations est interne dans le sens où elle provient de l’ingestion de radionucléides artificiels d’aliments contaminés.

La radiation dans les régions contaminées par l’accident de Tchernobyl est externe et interne. Les problèmes de santé de cette irradiation chronique qui en découlent ont été systématiquement sous-estimés ou ignorés par les autorités nationales et internationales depuis maintenant 22 ans. Les problèmes ne vont pas en s’améliorant.

La principale source de désinformation sur les conséquences de Tchernobyl en termes de santé est l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le mandat de l’AIEA est de promouvoir l’utilisation de l’atome2. Il s’agit d’un lobby industriel qui ne bénéficie d’aucun mandat ni d’aucune compétence en matière de santé publique. L’accord de 1959 qui lie l’OMS et l’AIEA3 empêche l’OMS de remplir son mandat constitutionnel d’« autorité directrice et coordonnatrice, dans le domaine de la santé » en ce qui concerne des sujets aussi importants que la santé et les radiations.

Le conflit d’intérêt permanent est évident car il octroie à l’industrie nucléaire commerciale le rôle de juge et partie en matière de sûreté de ses propres activités. Il faut obtenir l’indépendance de l’OMS dans le domaine de la radiation et de la santé.
La sous-estimation ainsi que le déni des effets sur la santé ont comme conséquence que les soins de santé et la protection adéquats n’ont pas été fournis, et que les mesures de prévention et de protection visant à réduire l’exposition, et à diminuer les effets de l’exposition, n’ont pas été mises en place ou ont été interrompues pour des raisons économiques ou politiques. Le droit des populations concernées en Ukraine, dans la Fédération de Russie et en Biélorussie à une alimentation saine, de même que le droit à la santé et aux soins de santé ont donc été, et continuent à être, violés.

L’accident de Tchernobyl du 26 avril 1986
L’explosion, et l’incendie de 10 jours qui suivit, a libéré au moins 2 milliards de curies de substances radioactives, qui furent dispersées partout dans le monde (entre 100 et 200 fois la quantité diffusée par les bombes lancées sur Hiroshima et Nagasaki ensemble). Le schéma de contamination du sol était fortement irrégulier et dépendait de la direction des vents et de la chute des pluies dans les jours et les semaines qui suivirent l’explosion. La région la plus contaminée (260 000 km2) reviendra à des niveaux de radioactivité normale (pour les isotopes d’uranium et plutonium) dans environ 100 000 ans. De nombreux isotopes radioactifs ont été libérés, les plus dangereux étant le strontium 90, le césium 137, l’iode 131, le plutonium 239 et l’uranium 235. Ces derniers sont toujours présents aujourd’hui dans la terre, l’eau et les forêts, et entrent donc dans la chaîne alimentaire pour ensuite s’accumuler dans l’organisme.

Pratiquement toute l’Europe a été contaminée. Dans 13 pays, 50% de leur territoire a été gravement contaminé et ce pourcentage est de 30% dans 8 autres pays. Les trois pays les plus affectés sont l’Ukraine, la Fédération de Russie et la Biélorussie.

La contamination radioactive 22 ans plus tard
Les populations rurales des trois pays les plus affectés n’ont eu d’autre choix que de consommer de la nourriture contaminée pendant 22 ans, ce qui a provoqué une accumulation de radionucléides dans les organes, parfois considérable en terme de leur concentration. Les populations les plus affectées sont celles qui ont un faible revenu et qui consomment les produits locaux – le lait, le fromage et la viande du bétail local, les légumes cultivés dans leurs potagers, les baies, les champignons, le gibier des forêts et les poissons des étangs et des rivières. L’utilisation des cendres contaminées comme fertilisant augmente d’autant plus la concentration de radionucléides dans les aliments.

La Commission internationale de protection radiologique (CIPR) recommande que la dose limite pour le groupe de référence (les individus les plus affectés dans une population donnée) soit de 1 mSv. Cette limite est dépassée dans des centaines de villages dans les pays concernés, que ce soit par la dose externe à elle seule, ou par la combinaison de la dose externe et interne. Cela touche donc des centaines de milliers de personnes.

La santé des populations affectées
Les organes internes accumulent de fortes concentrations de radionucléides, notamment le cœur, le placenta et le système nerveux central, endocrinien et immunitaire. La contamination chronique qui en résulte a des conséquences néfastes sur la santé. Les enfants, dont les organes sont en développement, sont particulièrement vulnérables aux rayonnements ionisants. Les autres groupes les plus affectés sont les liquidateurs, les personnes évacuées des régions les plus dangereusement contaminées, ainsi que les résidents des régions moins contaminées (mais quand même de manière dangereuse), selon leurs habitudes alimentaires.

Aujourd’hui en Biélorussie, 85% des enfants dans les régions contaminées sont malades; avant l’explosion, ce chiffre s’élevait à 15%4. Le Directeur général de la santé de la Fédération de Russie constata en 2001 que 10 % des 184 175 liquidateurs (la moitié étant des jeunes recrues militaires) étaient morts, qu’un tiers étaient invalides et que la situation se détériorait rapidement. Selon le communiqué de presse de l’ambassade ukrainienne à Paris, daté du 25 avril 2005, 94,2% de leurs 260 000 liquidateurs étaient malades en 2004. Il notait aussi que 87,85% des habitants des territoires contaminés étaient malades et que cette proportion augmentait chaque année.

Des centaines d’études épidémiologiques réalisées en Ukraine, en Biélorussie et dans la Fédération de Russie ont permis de constater une hausse significative de tous les types de cancer, causant des milliers de morts, de la mortalité infantile et périnatale, d’un grand nombre d’avortements spontanés, d’un nombre croissant de difformités et d’anomalies génétiques, de perturbations ou de retards du développement mental, de maladies neuropsychiques, de cas de cécité, ainsi que de maladies des systèmes respiratoire, cardiovasculaire, gastro-intestinal, urogénital et endocrinien5.

La source de la désinformation
Les preuves des conséquences néfastes sur la santé de l’activité nucléaire, civile comme militaire, représentent une sérieuse menace pour l’establishment nucléaire, ce qui inclut les complexes militaires industriels des nations les plus puissantes. Toutes les preuves de ce type, et particulièrement celles des chercheurs indépendants, ont été cachées, niées et dénigrées depuis environ 19456. Ces pratiques sont particulièrement efficaces en raison de la présence des lobbies nucléaires commerciaux et militaires dans les plus hautes sphères du système onusien à travers l’AIEA qui dépend directement du Conseil de Sécurité, lui-même composé des Etats nucléaires les plus puissants. Le Dr. Hiroshi Nakajima, ex-Directeur General de l’OMS, affirmait dans un documentaire pour la télévision suisse que la non-publication (ou censure) des Actes de la Conférence internationale sur les Conséquences sanitaires de Tchernobyl, tenue à Genève en 1995, était due aux liens juridiques qui liaient l’OMS à l’AIEA7.

Les autorités nationales, supposées être au service des intérêts du public en termes de radioprotection, sont aussi soumises à l’establishment nucléaire national et même inséparables de ce dernier. Il est regrettable qu’aujourd’hui on ne puisse pas compter sur des instituts académiques et de recherche pour entreprendre des recherches indépendantes8. Le financement public pour la recherche indépendante dans n’importe quel domaine scientifique est limité et, dans le domaine de la radiation et de la santé, une grande partie de soi disant « peer-reviewed literature » (études revues par des pairs) émane ou est financée puis filtrée par l’establishment nucléaire.

Il existe cependant des milliers d’études de chercheurs et instituts indépendants des trois pays, uniquement disponibles en langue russe, et passées sous silence par la communauté médicale internationale9.

Les défaillances dans la science et la recherche du lobby nucléaire
De manière générale, depuis les années 1950, les professionnels de la santé ont été exclus des organisations responsables des politiques d’évaluation de la santé et de protection en matière de radiation. Ces questions sont décidées par le lobby nucléaire composé de la CIPR, de l’AIEA et de l’UNSCEAR au niveau international et par des agences telle que le NCRP (GB), le BEIR (Etats-Unis) et EURATOM (UE), au niveau national.10 Ces entités sont étroitement liées, il arrive souvent de retrouver les mêmes membres d’une organisation à une autre, de retrouver des membres co-optés ou d’avoir énormément de peine à y entrer (closed membership)11.

Les effets sur la santé d’une irradiation faible et chronique de certains organes qui accumulent des radionucléides artificiels internes, ont été niés. On fait appel à des modèles inappropriés basés sur l’irradiation externe, de très courte durée, et à haute dose (comme celle d’Hiroshima). Il est de plus en plus reconnu par des autorités nationales et internationales qu’il n’existe pas de seuil sûr pour une exposition sans risque aux radiations artificielles interne ou externe12 et que le modèle sur lequel la CIPR se base pour ses recommandations pour la radioprotection ne s’applique pas à l’exposition interne de basse intensité13.

La science sur laquelle se base le débat sur le nucléaire en général et l’accident de Tchernobyl en particulier, est une science au service des conglomérats et les défaillances de cette pseudoscience vont du flagrant et outrageux au subtil et malhonnête.

La première catégorie de ces défaillances comprend la falsification et la rétention de données, l’absence de mesures répétées de la charge radioactive des habitants à mettre en corrélation avec le dépistage des cancers et autres problèmes de santé, les attaques exercées sur les chercheurs indépendants et leurs institutions, la censure des études révélant les effets néfastes, le dénigrement de milliers d’études non-traduites des trois pays les plus touchés et l’exclusion de l’ordre du jour des conférences de domaines scientifiques entiers – tels que les effets sanitaires de l’irradiation interne, chronique, à faible dose (qui vaut pour presque toute la contamination des populations autour de Tchernobyl).

La seconde catégorie comprend les artifices qui consistent à faire la moyenne des irradiations pour des populations entières, en mêlant des différences considérables de contamination et ignorant les sources locales de contamination concentrée ; à stopper les études après 10 ans pour ne pas prendre en compte des longues périodes de latence (10-30 ans) de certains problèmes ni la morbidité et la mortalité à long terme ; à considérer cinq années de survie comme une « guérison » ; à ne tenir compte d’aucune autre maladie que le cancer ; à compter uniquement les survivants ; à ne s’intéresser qu’aux trois pays les plus affectés ; à revendiquer une baisse des cancers infantiles (alors qu’en réalité, les enfants, une fois devenus adultes vont développés des cancers ; ils n’apparaîtront plus dans les bases de données), ainsi que des dizaines d’autres manipulations ignominieuses14.

On ne peut plus passer sous silence les divergences dans les estimations de morbidité et mortalité
L’évaluation officielle des problèmes de santé (morbidité et mortalité) dans les régions les plus affectées par Tchernobyl, varie avec celle des chercheurs indépendants d’un facteur de 100 ou même parfois de 1000. Pour ne citer qu’un exemple, au moins 600 000 liquidateurs ont participé au nettoyage de l’accident. Ils étaient soumis, souvent sans protection, à des niveaux de radiation horrifiants et à des poussières des particules riches en isotopes d’uranium. Et pourtant l’OMS en 2006 persistait à présenter un total final d’environ 50 morts.

Les divergences ne se trouvent pas uniquement entre des ONG, chercheurs indépendants et estimations officielles mais elles se trouvent aussi entre les organisations internationales. En 2000, le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan affirmait que plus de sept millions de personnes souffraient encore; qu’on ne saura peut-être jamais le nombre exact de victimes, mais que trois millions d’enfants avaient besoin de traitements et que beaucoup d’entre eux allaient mourir prématurément15. Dans la même année, la Fédération internationale des sociétés de la Croix rouge et Croissant-rouge, sur la base des examens médicaux dans les trois pays, a estimé que 83,1% des adultes et 76,8% des enfants étaient malades16. Le rapport 2006 de Greenpeace, élaboré avec les contributions de centaines de scientifiques des trois pays, conclut que selon les chiffres les plus récents, il faut compter 200 000 morts supplémentaires entre 1990 et 2004 à cause de l’accident, ceci uniquement dans les trois pays mentionnés17.

RECOMMANDATIONS
L’usage de l’énergie nucléaire, à ce stade de connaissance technique et scientifique, va à l’encontre du principe de précaution et met en danger la vie, la santé et l’environnement d’un nombre toujours croissant d’être humain et par conséquent viole leurs droits fondamentaux. Pour ces raisons, les ONG signataires demandent :

· que soit fourni immédiatement aux populations affectées en Ukraine, dans la Fédération de Russie et en Biélorussie des soins de santé, des traitement et des radioprotections sur la base des problèmes de santé existants des individus évalués par des examens médicaux indépendants ;

· que l’OMS retrouve son indépendance totale y compris dans le domaine de la santé et de la radiation. La révision de l’Accord de 1959 entre l’OMS et l’AIEA doit être mise à l’ordre du jour de la prochaine Assemblée mondiale de la Santé et l’abrogation de l’Accord, à l’ordre du jour de la prochaine Assemblée générale des Nations Unies ;

· qu’une commission de l’OMS sur la radiation et la santé composée d’experts indépendants sans aucun lien financier, ou autre, avec l’industrie nucléaire et avec des organisations comme l’AIEA, examine toutes les preuves disponibles sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl, y compris toutes les études faites par les chercheurs indépendants. Le rapport de ces enquêtes approfondies doit être présenté à l’Assemblée mondiale de la Santé et les actes mis à la disposition du public ;

· que le Conseil des droits de l’homme s’emploie à la mise en oeuvre de ces recommandations ;

· que les Rapporteurs spéciaux sur le droit à la santé et le droit à l’alimentation effectuent une mission dans les trois pays touchés par la catastrophe de Tchernobyl et fassent des recommandations au Conseil et aux organes compétents de l’ONU afin d’alléger les souffrances des victimes.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS Justice environnementale
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